Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Les Rougon-Macquart

Arbre généalogique des Rougon-Macquart annoté
Arbre généalogique des Rougon-Macquart annoté

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
En 1868, Zola s'engage dans un grand projet : « Dire la vérité humaine, démonter notre machine, en montrer les secrets ressorts par l'hérédité, et faire voir le jeu des milieux » à travers l'histoire d'une famille. Ce sera Les Rougon-Macquart : Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire en vingt romans. S'inspirant des idées scientifiques en cours, Zola veut démontrer, à la manière de l'expérimentation, la double influence de l'hérédité et du milieu sur des personnages livrés à leurs appétits et à leurs ambitions.
 

Un cycle romanesque ambitieux

Garder dans mes livres un souffle un et fort qui, s'élevant de la première page, emporte le lecteur jusqu'à la dernière. Conserver mes nervosités.

Émile Zola, Notes préparatoires aux Rougon-Macquart , 1868.

Ce cycle romanesque, composé de vingt romans, a été élaboré par Émile Zola entre 1868 et 1893. Il a pour sous-titre : « Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ». Paraissent successivement : La Fortune des Rougon (1871) ; La Curée (1872) ; Le Ventre de Paris (1873) ; La Conquête de Plassans (1874) ; La Faute de l'abbé Mouret (1875) ; Son Excellence Eugène Rougon (1876) ; L'Assommoir (1877) ; Une page d'amour (1878) ; Nana (1880) ; Pot-Bouille (1882) ; Au Bonheur des Dames (1883) ; La Joie de vivre 1884) ; Germinal (1885) ; L'Œuvre (1886) ; La Terre (1887) ; Le Rêve (1888) ; La Bête humaine (1890) ; L'Argent (1891) ; La Débâcle (1892) ; Le Docteur Pascal (1893).

Émile Zola
Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

Premier tableau généalogique des Rougon-Macquart par Émile Zola
Premier tableau généalogique des Rougon-Macquart par Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

En 1878, Zola publia, en tête d'Une page d’amour, un arbre généalogique de la famille des Rougon et des Macquart comportant vingt-six personnages. Cet arbre en comptera trente-deux, lors de son état définitif, proposé avec Le Docteur Pascal, en 1893. Montrant l'opposition entre deux familles issues d’un même ancêtre, la vieille Adélaïde Fouque (« Tante Dide »), il se subdivise, en fait, en trois branches : celle des Rougon (la bourgeoisie, grande et moyenne), celle des Macquart (la classe ouvrière et paysanne) et, au milieu, celle des Mouret (représentant la petite bourgeoisie). Il montre les liens héréditaires qui unissent les personnages entre eux, et souligne les déterminismes biologiques qui pèsent sur chacun d’entre eux.

L'influence de La Comédie humaine de Balzac

Par sa conception d'ensemble et par sa vision historique et sociale, le cycle des Rougon-Macquart reprend l'ambition de La Comédie humaine de Balzac ; mais il trouve dans les théories de l'hérédité de la fin du 19e siècle un fil conducteur original. Comme chez Balzac, chaque épisode est autonome et peut se lire d’une manière séparée. Le retour des personnages, d’un volume à l’autre, demeure limité.

Émile Zola
Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

Les mondes
Les mondes |

Bibliothèque nationale de France

Contrairement aux apparences, rien n'est plus varié que l'esthétique des Rougon-Macquart. Romans « noirs » et romans « roses » alternent, les formules les plus diverses sont essayées, des hymnes lyriques de La Faute de l'abbé Mouret à la parole populaire de L'Assommoir ou aux enluminures poétiques du Rêve... Mais ce qui caractérise l'écriture du cycle, c'est moins le détail du travail stylistique que la logique de la construction architecturale. D'emblée, Zola envisage les symétries ; spontanément, il assemble, compare, réfléchit par similitudes et différences.

Quand il conçoit le projet des Rougon-Macquart, il commence par noter les « différences » qui le séparent de Balzac, dont il souhaite pourtant suivre l'exemple : « Je ne veux pas comme Balzac avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d'être savant, de dire ce qui est en en cherchant les raisons intimes. Point de conclusion d'ailleurs. Un simple exposé des faits d'une famille, en montrant le mécanisme intérieur qui la fait agir ».

Il précise, dans ses notes sur la « marche générale » de son œuvre : « Pour résumer mon œuvre en une phrase : je veux peindre, au début d'un siècle de liberté et de vérité, une famille qui s'élance vers les biens prochains, et qui roule détraquée par son élan lui-même, justement à cause des lueurs troubles du moment, des convulsions fatales de l'enfantement d'un monde ». Il joue donc sur plusieurs déterminismes, en cherchant à articuler une double logique : « l'élément purement humain, l'élément physiologique, l'étude scientifique d'une famille avec les enchaînements et les fatalités de la descendance » et l'« effet du moment moderne sur cette famille, son détraquement par les fièvres de l'époque, [l'] action sociale et physique des milieux ».

Les modèles scientifiques

Comprendre chaque roman ainsi : poser d'abord un cas humain (physiologique) ; mettre en présence deux, trois puissances (tempéraments) ; établir une lutte entre ces puissances.

Émile Zola, Notes préparatoires aux Rougon-Macquart , 1668.

De telles exigences programmatiques permettent de comprendre l'utilisation que le romancier a faite de la science de son époque et surtout son souci constant de trouver des formules (quelquefois excessives) qui contiennent sa tentative romanesque. Zola a multiplié les sources d'inspiration, combiné les modèles théoriques. Il s’est appuyé sur Taine, qui a écrit dans l'introduction de son Histoire de la littérature anglaise : « Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre » (1863). Darwin lui a montré que la société est, comme la nature, régie par la loi de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle (De l'origine des espèces a été traduit en français en 1862). La médecine et la biologie le fascinent (comme elles ont fasciné Flaubert) par tout ce qu'elles révèlent d'inconnu chez l'être humain.

Notes sur l’hérédité
Notes sur l’hérédité |

Bibliothèque nationale de France

Émile Zola
Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

Il se nourrit du Traité philosophique et physiologique de l'hérédité naturelle du Dr Lucas (1868) et de l'Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard (1865). Cet ouvrage, lu tardivement, se trouve à l'origine de son texte théorique le plus fameux, Le Roman expérimental, où il affirme, avec fierté : « Nous montrons le mécanisme de l'utile et du nuisible, nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu'on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons avec tout le siècle à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l'homme décuplée. » Faut-il se moquer d'une telle profession de foi, marquée par les illusions positivistes de la fin du 19e siècle ? On l'a longtemps fait, mais sans se donner la peine de chercher à comprendre les lois de la création zolienne... Certes, Les Rougon-Macquart ne fournissent pas un ensemble de résultats mesurables et directement applicables. Mais ils offrent une vision de l'homme et de la société qui est fidèle à ce que le 19e siècle possédait de plus riche en matière de réflexion scientifique, comme l'a montré Michel Serres dans Feux et signaux de brume, en 1975.

Un succès jamais démenti

Affiche de La Bête humaine
Affiche de La Bête humaine |

Bibliothèque nationale de France

Affiche de Germinal au théâtre du Châtelet
Affiche de Germinal au théâtre du Châtelet |

© Bibliothèque nationale de France

Resté modeste jusqu'à L'Assommoir, en 1877, le succès de la série est ensuite allé croissant, chaque nouveau roman constituant un événement pour le grand public, comme pour la critique. Au 19e siècle, les meilleures ventes furent, dans l'ordre : La Débâcle (207 000 exemplaires en 1902, à la mort de Zola) ; Nana (193 000 ex.) ; L'Assommoir (145 000 ex.) ; La Terre (135 000 ex.) ; Le Rêve et Germinal à égalité (110 000 ex.). Aujourd’hui, si l’on considère les tirages des différentes collections de poche, on constate que Germinal arrive en tête, suivi par L'Assommoir, Au Bonheur des Dames, La Bête humaine, et Nana.

video

Zola et la construction des Rougon-Macquart

Lien permanent

ark:/12148/mmw6nz5h8c625