Casanova et l’alchimie


















Dans une société qui se veut “éclairée”, Casanova va absorber tous les savoirs possibles pour s’en servir à son profit. Au cours de sa première rencontre avec Mme d’Urfé, connue pour ses lubies ésotériques, celle-ci lui montre les manuscrits d’alchimie qu’elle collectionne. Entichée du grand-œuvre permettant de transmuter les métaux en or, elle dit posséder la pierre philosophale. L’aventurier utilisera sans vergogne le rêve de la marquise d’Urfé de renaître en homme pour imaginer un rituel de régénération, l’escroquer, et la mener à la ruine.
Figure alchimique
« Mme d’Urfé, belle quoique vieille, me reçut très noblement avec toute l’aisance de l’ancienne cour du temps de la Régence. [...] Mme d’Urfé ne se montait que curieuse, mais je voyais avec évidence qu’il lui tardait d’étaler ses connaissances. [...] Après le dîner, La Tour d’Auvergne nous quitta [...], et pour lors Madame commença à me parler chimie, alchimie, magie et tout ce qui faisait la matière de sa folie. Lorsque nous vînmes sur le propos du grand-œuvre, et que j’eus la bonhomie de lui demander si elle connaissait la matière première, elle ne donna pas dans un éclat de rire, parce qu’elle aurait manqué de politesse, mais avec un gracieux sourire elle me dit qu’elle possédait déjà ce qu’on appelle la pierre philosophale, et qu’elle était rompue dans toutes les grandes opérations. [...] Son auteur favori était Paracelse qui, selon elle, n’avait été ni homme ni femme, et qui avait eu le malheur de s’empoisonner avec une trop forte dose de médecine universelle. Elle me montra un petit manuscrit où il y avait le grand procédé expliqué en français en termes très clairs. »
Histoire de ma vie, II, p. 86-87
Bibliothèque nationale de France
Natura medicinæ
« J’étais parvenu à connaître parfaitement Mme d’Urfé, qui me croyait un vrai adepte sous le masque d’un homme sans conséquence ; mais elle se fortifia dans cette idée chimérique cinq ou six semaines après, lorsqu’elle me demanda si j’avais déchiffré le manuscrit où il y avait le procédé du grand-œuvre. Je lui ai dit que je l’avais déchiffré et par conséquent lu, et que je le lui rendrais, lui donnant parole d’honneur que je ne l’avais pas copié.
– Je n’y ai trouvé lui dis-je rien de nouveau.
– Sans la clef, monsieur, excusez que je croie la chose impossible.
– Voulez-vous madame, que je vous donne votre clef ?
– Je vous en prie.
Je lui donne alors la parole, qui n’était d’aucune langue, et je la vois surprise. Elle me dit que c’était trop car elle se croyait seule maîtresse de ce mot-là qu’elle conservait dans sa mémoire, et qu’elle n’avait jamais écrit.
Je pouvais lui dire la vérité, que le calcul même qui m’avait servi à déchiffrer le manuscrit m’avait fait apprendre le mot, mais il me vint le caprice de lui dire qu’un Génie me l’avait révélé. Cette fausse confidence fut celle qui mit Mme d’Urfé dans mes fers. Je me suis rendu ce jour-là l’arbitre de son âme, et j’ai abusé de mon pouvoir. Toutes les fois que je m’en souviens, je me sens affligé et honteux, et j’en fais la pénitence actuellement dans l’obligation où je me suis mis de dire la vérité dans mes Mémoires. »
Histoire de ma vie, II, p. 95-96
Bibliothèque nationale de France
Dealbatio
« La grande chimère de Mme d’Urfé était celle de croire à la possibilité de parvenir au dialogue avec les esprits élémentaires. Elle aurait donné tout ce qu’elle possédait pour y parvenir ; et elle avait connu des imposteurs qui l’avaient trompée la flattant de lui apprendre le chemin. Se voyant alors vis-à-vis de moi qui lui avais donné une preuve si évidente de ma science, elle se croyait parvenue à son but.
– Je ne savais pas, me dit-elle, que votre Génie eût le pouvoir de forcer le mien à lui révéler ses secrets.
– Il n’a pas eu besoin de le forcer, car il sait tout de sa propre nature.
– Sait-il aussi ce que j’enferme de secret dans mon âme ?
– Certainement, et il doit me le dire si je l’interroge.
– Pouvez-vous l’interroger quand vous voulez ?
Dans tous les moments que j’ai du papier et de l’encre ; et je peux même le faire interroger par vous, vous disant son nom. Mon Génie s’appelle Paralis. Faite-lui une question par écrit, comme si vous la faisiez à un mortel ; demandez-lui comment j’ai pu déchiffrer votre manuscrit, et vous verrez comme je l’obligerai à vous répondre.
Mme d’Urfé, tremblante de joie, fait sa question ; je la mets en nombres puis en pyramide comme je fais toujours, et lui fais tirer la réponse qu’elle met elle-même en lettres. Elle ne trouve que des consonnes, mais moyennant une seconde opération je lui fais trouver des voyelles qu’elle combine, et voilà une réponse fort claire et qui la surprend. Elle voit sous ses yeux la parole qui était nécessaire à déchiffrer son manuscrit. Je l’ai quittée portant avec moi son âme, son cœur, son esprit et tout ce qui lui restait de bon sens. »
Histoire de ma vie, II, p. 96
Bibliothèque nationale de France
Solutio Perfecta
« Je possédais selon elle [Mme d’Urfé], non seulement la pierre, mais le colloque avec tous les esprits élémentaires. Elle me croyait par conséquent maître de bouleverser toute la terre, de faire le bonheur et le malheur de la France, et elle n’attribuait la nécessité où j’étais de me tenir caché qu’à la juste crainte que je devais avoir d’être arrêté et enfermé, car cela, selon elle, devait être immanquable, d’abord que le ministère eût pu parvenir à me connaître. Ces extravagances venaient des révélations que son Génie lui faisait pendant la nuit, et que sa fantaisie exaltée lui faisait croire réelles. M’en rendant compte de la meilleure bonne foi du monde, elle me dit un jour que son génie l’avait convaincue qu’étant femme je ne pourrais pas lui faire obtenir le dialogue avec les Génies, mais que je pouvais, moyennant une opération qui devait m’être connue, la faire passer en âme dans le corps d’un enfant mâle né d’un accouplement philosophique d’un immortel avec une mortelle, ou d’un mortel avec une femme de nature divine. »
Histoire de ma vie, II, p. 97-98
Bibliothèque nationale de France
Cinis Cinerum
« – Il y a aujourd’hui dix-huit ans, me dit-elle [Mme d’Urfé], que je me suis endormie seule à la même place où nous sommes. Pendant mon sommeil, le divin Orosmasis descendit du soleil et me tint compagnie jusqu’à mon réveil. En ouvrant les yeux, je le vis me quitter et remonter au ciel. Il me laissa enceinte d’une fille qu’il m’a enlevée il y a dix ans, sans doute pour me punir de ce qu’après lui je me suis oubliée un moment jusqu’à aimer un mortel. Ma divine Irasis lui ressemblait.
– Vous êtes bien sûre que M. d’Urfé n’était pas son père ?
– M. d’Urfé ne m’a plus connue depuis qu’il m’a vue couchée à côté du divin Anael.
– C’est le génie de Vénus. Louchait-il ?
– Extrêmement. Vous savez donc qu’il louche ?
– Je sais aussi que dans la crise amoureuse, il délouche.
– Je n’y ai pas fait attention. Il m’a aussi quittée à cause de la faute que j’ai commise avec un arabe.
– Il vous avait été envoyé par le Génie de Mercure ennemi d’Anael.
– Il le faut bien, et j’eus bien du malheur.
– Non, cette rencontre vous a rendue apte à la transformation. »
Histoire de ma vie, II, p. 697-698
Bibliothèque nationale de France
Mercure tente d’arrêter le cours du temps, représenté par Saturne
«... on me mena dans l’appartement que Mme d’Urfé m’avait ménagé, contigu au sien. [...] Le lecteur s’ennuierait à lire les cirsonstances détaillées de cette entrevue, car il ne trouverait que des disparates dans les raisonnements de cette pauvre femme qui était entichée de la plus fausse et de la plus chimérique de toutes les doctrines, et de ma part des faussetés qui n’avaient aucun caractère ni de vérité, ni de vraissemblance. Absorbé dans le libertinage, et amoureux de la vie que je menais, je tirais parti de la folie d’une femme qui, n’étant pas trompée par moi, l’aurait voulu être par un autre. Je me donnais la préférence, et en même temps, la comédie. »
Histoire de ma vie, III, p. 36
Bibliothèque nationale de France
Les dragons sur la montagne
« Mme d’Urfé me reçut avec un cri de joie disant d’abord au petit d’Aranda de me donner le billet cacheté qu’elle lui avait remis le matin. Je le décachette, et je lis après la date du même jour : Mon Génie m’a dit ce matin à la pointe du jour que Galtinarde part de Fontainebleau et qu’il viendra aujourd’hui dîner avec moi.
C’est un fait. Cent choses dans ce goût me sont arrivées dans ma vie, bonnes pour faire tourner la cervelle à d’autres. Elles m’ont étonné, mais Dieu soit loué, elles ne m’ont pas forcé à déraisonner. On allègue un fait que l’on a deviné ; mais on ne parle pas de cent autres qu’on a prédits, et qui ne parurent pas. »
Histoire de ma vie, III, p. 107
Bibliothèque nationale de France
Le caducée de Mercure
« – Connaissez-vous la théorie des heures planétaires ?
– Je crois que oui, mais elle n’est pas nécessaire pour cette opération.
– Je vous demande pardon. J’ai peint sur la cuisse de M. de La Tour d’Auvergne le pentacle de Salomon à l’heure de Vénus, et si je l’avais commencé par Anael qui est le génie de la planète, mon opération eut été vaine.
– C’est ce que j’ignorais. Et après Anael ?
– Il faut aller à Mercure, de Mercure à la Lune, de la Lune à Jupiter, de Jupiter au Soleil. Vous voyez, c’est le cycle magique dans le système de Zoroastre, où je saute Saturne et Mars que la science exclut de cette opération.
– Et si vous aviez opéré dans l’heure de la Lune par exemple ?
– Je serais alors allé à Jupiter, puis au Soleil, puis à Anael, c’est-à-dire à Vénus, et j’aurais fini par Mercure.
– Je vois, Monsieur, que vous possédez la pratique des heures avec une facilité surprenante.
– Sans cela, Madame, on ne peut rien faire en magie, car on n’a pas le temps de calculer ; mais cela n’est pas difficile. Une étude d’un mois en donne l’habitude à tout candidat. Ce qui est plus difficile est le culte, car il est compliqué ; mais on y parvient. Je ne sors jamais le matin de chez moi sans savoir de combien de minutes est composée l’heure dans le jour courant, et j’ai soin que ma montre soit réglée à la perfection, car une minute décide.
– Auriez-vous la complaisance de me communiquer cette théorie ? »
Histoire de ma vie, II, p. 91
Bibliothèque nationale de France
Le serpent crucifié
« Le dîner qui m’amusa le plus fut celui qu’elle [Mme d’Urfé] donna à Mme de Gergi qui vint accompagnée du fameux aventurier, comte de St-Germain. Cet homme, au lieu de manger, parla du commencement à la fin du dîner ; je l’ai écouté avec la plus grande attention, car personne ne parlait mieux que lui. Il se donnait pour prodigieux en tout, il voulait étonner, et positivement il étonnait. Il avait un ton décisif, qui cependant ne déplaisait pas, car il était savant, parlant bien toutes les langues, grand musicien, grand chimiste, d’une figure agréable, et maître de se rendre ami toutes les femmes, car en même temps qu’il leur donnait des fards qui leur embellissaient la peau, il les flattait non pas de les faire devenir plus jeunes, car cela, disait-il, était impossible, mais de les garder et conserver dans l’état où il les trouvait moyennant une eau, qui lui coûtait beaucoup, mais dont il leur faisait présent. Cet homme très singulier, et né pour être le plus singulier de tous les imposteurs, impunément disait, comme par manière d’acquit, qu’il avait trois cents ans, qu’il possédait la médecine universelle, qu’il faisait tout ce qu’il voulait de la nature, qu’il fondait les diamants, et qu’il en faisait un grand de dix à douze petits sans que le poids diminuât, et avec la plus belle eau. C’étaient pour lui bagatelles. Malgré ses rodomontades, ses disparates et ses mensonges évidents, je n’ai pas eu la force de le trouver insolent, mais je ne l’ai pas non plus trouvé respectable ; je l’ai trouvé étonnant malgré moi, car il m’a étonné. »
Histoire de ma vie, II, p. 95
Bibliothèque nationale de France
Alchimie : instruments de distillation, alambic, cornue, fourneau, soufflet…
« De la bibliothèque, nous passâmes dans son laboratoire qui m’a positivement étonné ; elle [Mme d’Urfé] me montra une matière qu’elle tenait au feu depuis quinze ans, et qui avait besoin d’y être encore pour quatre ou cinq. C’était une poudre de projection, qui devait dans une minute opérer la transmutation en or de tous les métaux. Elle me montra un tuyau par où le charbon descendait et allait entretenir le feu de son fourneau toujours dans le même degré, porté là par son poids naturel de façon qu’elle restait souvent trois mois sans entrer dans le laboratoire sans risquer de trouver son feu éteint. Un petit conduit dessous en faisait tomber les cendres. La calcination du mercure était pour elle un jeu d’enfant ; elle m’en montra de calciné, et elle me dit que quand je voudrai elle me fera voir le procédé. »
Histoire de ma vie, II, p. 87-88
Bibliothèque nationale de France
Le Mercure animé (caducée)
[M. de La Tour d’Auvergne prend soin de son cousin, le prince Turaine, atteint de la petite vérole.] « Mme d’Urfé loua son zèle, et elle lui donna un sachet en lui faisant promettre qu’il le lui rendrait après la guérison du prince. Elle lui dit de le lui mettre autour du cou en sautoir, et d’être sûr d’une heureuse éruption, et d’une guérison très certaine. Il le lui promit, prit le sachet et il s’en alla.
J’ai dit alors à la marquise que je ne savais pas ce que son sachet contenait, mais que si c’était de la Magie je n’y avais point de foi, car elle ne lui avait donné aucune prescription sur l’heure. Elle me répondit que c’était un electrum, et dans ce cas-là je lui ai demandé excuse.
Elle me dit qu’elle louait ma réserve, mais qu’elle pensait que je ne me trouverais pas mécontent de sa coterie, si je voulais me prêter à en faire connaissance. »
Histoire de ma vie, II, p. 92-93
Bibliothèque nationale de France
Alchimie : instruments et appareils distillation
« Elle [Mme d’Urfé] me montra un baril rempli de platine del Pinto qu’elle était maîtresse de convertir en or pur quand bon lui semblerait. [...] Elle me fit voir le même platine dans quatre différents vases, dont trois le contenaient intact dans les mêmes acides vitrioliques, nitreux et marins, mais dans le quatrième, où elle avait employé l’eau régale le platine n’avait pu résister. Elle le fondait au miroir ardent, et me dit que seul on ne pouvait pas le fondre autrement, ce qui selon elle le démontrait supérieur à l’or. Elle me le fit voir précipité par le sel ammoniac, qui n’a jamais pu précipiter de l’or. »
Histoire de ma vie, II, p. 88-89
Bibliothèque nationale de France
Instruments et symboles alchimiques
«... je m’étais engagé avec Mme d’Urfé à souper avec elle le premier jour de l’an 1762, dans un appartement qu’elle m’avait meublé rue du Bacq. Elle l’avait orné de superbes tapisseries que René de Savoie avait fait faire et sur lesquelles toutes les opérations du grand-œuvre étaient représentées. [...] Je passai dans ce joli logement trois semaines entières sans aller nulle part, afin de convaincre cette bonne dame que je n’étais retourné à Paris que pour m’acquitter de la parole que je lui avais donnée de la faire renaître homme.
Nous passâmes ces trois semaines à faire les préparatifs nécessaires à cette divine opération, et ces préparatifs consistaient à rendre un culte particulier à chacun des génies des sept planètes, aux jours qui leur sont consacrés. Après ces préparatifs, je devais aller prendre, dans un lieu qui devait m’être connu par l’inspiration des génies, une vierge, fille d’adepte, que je devais féconder d’un garçon par un moyen connu des seuls frères Rose-Croix. Ce fils devait naître vivant mais seulement avec une âme sensitive. Mme d’Urfé devait le recevoir dans ses bras à l’instant où il viendrait au monde, et le garder sept jours auprès d’elle dans son propre lit. Au bout de ces sept jours, elle devait mourir en tenant sa bouche collée à celle de l’enfant qui, par ce moyen, recevrait son âme intelligente.
Après cette permutation, ce devait être à moi de soigner l’enfant avec le magistère qui m’était connu, et dès que l’enfant aurait atteint sa troisième année, Mme d’Urfé devait se reconnaître, et alors je devais commencer à l’initier dans la connaissance parfaite de la grande science, [...]
Cette sublime folle trouva que cette divine opération était d’une vérité évidente, et elle brûlait d’impatience de voir la vierge qui devait être son vase d’élection. J’avais espéré en faisant ainsi parler l’oracle, de lui inspirer quelque répugnance, puisqu’enfin il fallait qu’elle mourût ; et je comptais sur l’amour naturel de la vie pour traîner la chose en longueur. Mais ayant trouvé tout le contraire, je me voyais dans la nécessité de lui tenir parole, en apparence, et d’aller chercher la vierge mystérieuse. »
Histoire de ma vie, II, p. 719, puis 731-732
Bibliothèque nationale de France
Symboles alchimiques : Emblèmes de Solidonius
« La troisième heure allait, il fallait satisfaire à Mercure. Nous passons un quart de son heure plongés dans le bain jusqu’aux reins. L’Ondine [Marcoline] enchantait Séramis [Mme d’Urfé] par l’espèce de caresse qu’elle lui faisait, et dont le duc Régent d’Orléans n’en avait aucune idée ; elle les croyait naturelles aux Génies des rivières, ainsi elle applaudissait à tout ce que le Génie femelle travaillait sur elle avec ses doigts. Émue par la reconnaissance, elle pria la belle créature de me prodiguer ses trésors, et ce fut pour lors que Marcoline étala toutes les doctrines de l’école vénitienne.[...]
Séramis demanda à l’oracle si l’opération avait été parfaite. Épouvanté par cette question, je lui ai fait répondre que le verbe du soleil était dans son âme, et qu’elle accoucherait au commencement de février de soi-même changée de sexe ; mais qu’elle devait se tenir pour cent sept heures dans son lit.
Comblée d’aise, elle trouva cet ordre de repos de cent sept heures était divinement savant. Je l’ai embrassée en lui disant que j’allais dormir hors de la ville pour ramasser le reste des drogues que j’y avais laissé après les cultes que j’avais fait à la Lune, en lui promettant de dîner avec elle le lendemain. »
Histoire de ma vie, III, p. 50-51
Bibliothèque nationale de France
Couleurs de l’arc en ciel après la noirceur...
« Couleurs de l’arc en ciel après la noirceur ou les guirlandes de fleurs avec lesquelles des bergers avaient lié Silène endormi. Et lorsque ce vieillard eut cuvé son vin il se reveilla et prononça ces paroles : ieris de mon lien. Il fut tout réjouy de voir de si belles couleurs. Aussi les philosophes disent tous sitôt que tu verras la noirceur réjouis-toy car ton œuvre ne peut pas manquer de réussir. »
Bibliothèque nationale de France
Subiectum chimicum
« J’ai trouvé Mme d’Urfé dans son lit toute élégante, coiffée en jeune femme avec un air de satisfaction que je ne lui avais jamais vu. Elle me dit qu’elle savait de me devoir tout son bonheur ; et elle commença en conséquence de sa folie à me raisonner très sensément.
– Épousez-moi, me disait-elle, et vous resterez tuteur de mon enfant, qui sera votre fils, et par conséquent vous me conserverez tout mon bien, et vous deviendrez le maître de ce que je dois hériter de M. de Poincarré, mon frère, qui est vieux et qui ne peut pas vivre longtemps. Si vous n’avez pas soin de moi dans le mois de février prochain que je dois renaître en homme, qui aura besoin de moi ? Dieu sait dans quelles mains je tombe. On me déclarera bâtard, et on me fera perdre quatre-vingt mille livres de rente que vous pouvez me conserver. [...]
Je lui ai répondu que l’oracle serait notre seul guide et que je ne souffrirai jamais que, devenant homme et étant mon fils, elle puisse être déclarée batard ; et elle se tranquilisa. Elle raisonnait très juste ; mais le fond de l’argument étant une absurdité, elle ne pouvait que me faire pitié. Si quelque lecteur trouve qu’en agissant en honnête homme je devais la désabuser, je le plains ; c’était impossible ; et quand-même je l’aurais pu, je ne l’aurais pas fait, car je l’aurais rendue malheureuse. Telle qu’elle était faite, elle ne pouvait se repaître que de chimères. »
Histoire de ma vie, III, p. 53
Bibliothèque nationale de France
Coitus. Virtutes
« J’appréhendais aussi que ma bonne Mme d’Urfé fût morte ou devenue sage, ce qui pour moi aurait eu le même résultat. [...]
Je suis allé après chez Mme d’Urfé, où je suis resté quatre heures faisant des pyramides pour mettre la joie dans son âme ; malgré ma mauvaise humeur je devais rire des discours qu’elle me faisait sur sa grossesse, de la certitude qu’elle en avait à cause des symptômes qu’elle ressentait, et de la douleur qu’elle avait de mourir parce qu’elle ne pourrait pas rire de tout ce que les physiciens de Paris diraient sur ses couches, qu’on trouverait extraordinaires à son âge. »
Histoire de ma vie, II, p. 716, puis III, p. 79.
Bibliothèque nationale de France
Exaltatio V. Essentiae
« Le premier jour du mois d’août fut un jour funeste pour elle [Pauline] et pour moi. Pour elle qui reçut deux lettres de Lisbonne et pour moi qui, entre autres, j’en ai reçu une de Paris qui m’annonçait la mort de Mme d’Urfé. C’était Mme du Rumain qui m’écrivait que les médecins disaient sur le témoignage de Brougnole sa femme de chambre qu’elle s’était empoisonnée prenant une trop forte dose de ce qu’elle appelait médecine universelle. Elle me disait qu’on lui avait trouvé un testament fou, car elle laissait tout son bien au premier fils ou fille dont elle accoucherait, et dont elle se disait grosse. C’était moi qu’elle instituait tuteur du nouveau-né, ce qui me perçait l’âme, car cette histoire dut avoir fait rire au moins pour trois jours tout Paris. Mme la comtesse du Châtelet, sa fille, s’était emparée de sa riche succession en bien immeubles et de son portefeuille où à mon grand étonnement on avait trouvé m/400 #. Les bras me tombèrent ; mais j’ai concentré ma douleur et mon repentir dans l’intérêt que je prenais aux deux lettres qu’avait reçues Pauline [...]. »
Histoire de ma vie, III, p. 198-199
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France, 2011