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Anthologie

Le Testament dans le texte

Une sélection d'extraits pour découvrir toute la radicalité de la pensée de Jean Meslier dans son Testament. Son ouvrage est en effet une profonde contestation des injustices sociales et de la religion qui les soutient. On a pu voir en Jean Meslier non seulement un matérialiste athée mais aussi un précurseur du communisme qui dénonce la propriété privée comme source de domination.

L'aveuglement et la méchanceté des hommes

Jean Meslier, Testament,  Chapitre I, « Avant-Propos, Dessein de l'ouvrage », 1725.
Dès le premier chapitre de son ouvrage, Jean Meslier adosse sa dénonciation de l'injustice sociale à une critique radicale des religions, y compris de la religion catholique.

Dès ma plus tendre jeunesse, j'ai entrevu les erreurs et les abus, qui causent de si grands maux dans le monde. Plus j’ai avancé en âge et en connaissance, plus j’ai reconnu l’aveuglement et la méchanceté des hommes, plus j’ai reconnu la vanité de leurs superstitions et l’injustice de leur gouvernement […]
J’ai vu, et on voit encore tous les jours, une infinité d’innocents malheureux, persécutés sans raison et opprimés avec injustice, sans qu’ils trouvassent aucun protecteur secourable pour les secourir […]
C’est l’égoïsme et l’ambition brutale qui sont la source et l’origine de tous ces superbes titres de seigneurs, de prince, de roi, de monarque et autres tyrans qui nous oppriment. Et aussi la source et l’origine de tous ces prétendus saints et sacrés caractères d’ordre et de puissance ecclésiastique et spirituelle que s’attribuent les prêtres et les évêques. La religion soutient le gouvernement politique, si méchant qu’il puisse être, et à son tour le gouvernement soutient la religion, si sotte et si vaine qu’elle puisse être.
D’un côté, les prêtres recommandent, sous peine de malédiction et de damnation éternelle, d’obéir aux magistrats, aux princes et aux souverains, comme étant établis de Dieu pour gouverner les autres, et les princes de leur côté font respecter les prêtres, leur font donner de bons appointements et de bons revenus et les maintiennent dans les fonctions vaines et abusives de leur faux ministère, contraignant le peuple de regarder comme saint et sacré tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils ordonnent aux autres de croire et de faire, sous ce beau et spécieux prétexte de religion et de culte divin.
Et ne croyez pas que je vise ici seulement les religions dites fausses, en exceptant au moins de ce nombre la religion catholique. Point. Elle n’est pas moins superstitieuse qu’une autre ; elle n’est pas moins fausse dans ses principes, ni moins ridicule et moins absurde dans ses dogmes et maximes.

Jean Meslier, Testament : Amesterdam, R.C. Meijer, 1864

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Étranglés avec les boyaux de prêtres

Jean Meslier, Testament, chapitre II « Pensées et sentiments de l'auteur sur les religions du monde », 1725.
La pensée de Jean Meslier exprime ici toute sa radicalité : sa dénonciation des inégalités sociales débouche sur une haine des puissants et sur une apologie des « généreux meurtriers » qui débarassent le peuple de ces tyrans, tels Ravaillac, l'assassin d'Henri IV.

Il souhaitait, disait-il, par rapport au sujet dont je parle, que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boyaux de prêtres. Cette expression ne doit pas manquer de paraître assez rude et grossière, mais il faut avouer qu’elle est franche et naïve. Elle est courte, mais elle exprime assez, en peu de mots, tout ce que ces sortes de gens-là méritent. […]
Il n’y en a point qui aient poussé si loin l’autorité absolue, ni qui aient rendu leurs peuples si pauvres, si esclaves et si misérables ; il n’y en a point qui aient fait répandre tant de sang, qui aient fait tuer tant d’hommes, qui aient fait tant verser de larmes aux veuves et aux orphelins que ce dernier roi Louis XIV, surnommé le Grand, non véritablement pour les grandes injustices, pour les grandes voleries, pour les grandes usurpations, pour les grandes désolations, et pour les grands ravages et carnages d’hommes qu’il a fait faire de tous côtés, tant sur terre que mer. […]
Où sont ces généreux meurtriers des tyrans que l’on a vus aux siècles passés ? Où sont les Brutus et les Cassius ? Où sont ces généreux défenseurs de la liberté publique, qui chassèrent les rois et les tyrans de leur pays, en donnant licence à quiconque de les tuer ? Où sont Jacques Clément et les Ravaillac de notre France ? Que ne vivent-ils encore de nos jours pour assommer et pour poignarder tous ces détestables monstres et ennemis du genre humain et pour délivrer, par ce moyen, les peuples de la tyrannie ? Non, ils ne vivent plus, ces grands hommes, et on ne voit plus maintenant dans le monde que de lâches et misérables esclaves !

Jean Meslier, Testament : Amesterdam, R.C. Meijer, 1864

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Unissez-vous donc, ô peuples !

Jean Meslier, Testament, chapitre XCVIII « Conclusion de l'ouvrage », 1725.
Jean Meslier conclut son ouvrage par une adresse au peuple : il s'agit de s'unir pour se libérer de l'oppression exercée conjointement par les rois, les seigneurs propiétaires terriens et les prêtres. L'auteur exhorte le peuple à se passer de ces « inutiles fainénants » qui possèdent la terre sans la travailler. On a souvent lu dans ce passage, à juste titre, l'expression d'un idéal de communisme agraire.

Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d’ignorance. Rejetez entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions. N’ajoutez aucune foi aux faux mystères, moquez-vous de tout ce que les prêtres intéressés vous disent. Car c’est là la cause funeste et véritable de tous vos maux… Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépend que de vous, car c’est de vous seuls que les tyrans obtiennent leur force et leur puissance. Unissez-vous donc, ô peuples ! Unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de vos misères communes. Commencez d’abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez partout le plus habilement possible des écrits semblables à celui-ci par exemple, rendez odieux partout le gouvernement tyrannique des princes et des prêtres. Secourez-vous dans une cause si juste et si nécessaire et où il s’agit de l’intérêt commun de tous les peuples… Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps, n’en donnez rien à tous ces superbes et inutiles fainéants, rien à tous ces moines et à ces ecclésiastiques qui vivent inutilement sur la terre, rien à ces orgueilleux tyrans qui vous méprisent… que vos enfants, vos parents, vos alliés quittent leur service, excommuniez-les de votre société. Ils ne peuvent pas se passer de vous, vous pouvez vous passer d’eux et n’ayez pas d’autre religion que de maintenir partout la justice et l’équité, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous. Après cela, qu’on en pense, qu’on en juge, qu’on en dise ce que l’on voudra, je ne m’embarrasse pas. Que les hommes s’accommodent et se gouvernent comme ils veulent, qu’ils soient sages ou qu’ils soient fous, qu’ils disent ou qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront après ma mort, je m’en soucie fort peu. Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde. Les morts avec lesquels je suis sur le point d’aller ne s’embarrassent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus que rien et bientôt je ne serai plus rien.

Jean Meslier, Testament : Amesterdam, R.C. Meijer, 1864

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