Racine et Shakespeare

Bibliothèque nationale de France
David Garrick dans le personnage de Richard III
Hogarth a représenté des scènes, des actrices et des acteurs de théâtre, et en particulier David Garrick (1717-1779) dans le rôle de Richard III – Shakespeare était alors en vogue en Angleterre –, un rôle tenu en 1741 qui rendit l’acteur célèbre. Le rencontrant, le duc de Guise, ambassadeur de France à Londres en 1770, lui parla de cette estampe : « Le poignard à la main, l’œil en feu, vous m’avez fait frissonner. » Garrick, lié aussi aux écrivains de son temps, fut un ami proche de Hogarth ; il lui acheta le tableau de l’Élection et prononça son oraison funèbre. Le peintre a fait deux autres tableaux de l’acteur, dont un avec sa femme, conservé à Windsor.
Bibliothèque nationale de France
Tradition contre innovation
L’observation des deux unités de lieu et de temps est une habitude française, […] mais je dis que ces unités ne sont nullement nécessaires à produire l’émotion profonde et le véritable effet dramatique.

La première représentation d’Hernani à la Comédie Française
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
L’illusion théâtrale
Il peut en effet paraître paradoxal pour un auteur que l’on connaît essentiellement pour ses romans de se pencher sur la question théâtrale. Stendhal a en réalité toujours rêvé d’être dramaturge et il commence même à essayer d’écrire pour le théâtre dès 1795-1796, avec Selmours. Mais le jeune écrivain, justement très gêné par les contraintes techniques liées au genre, et notamment par la nécessité de versifier ses pièces, laisse toujours ses ébauches inachevées. Il reste un fervent amateur de théâtre et s’émerveille du pouvoir qu’une simple pièce peut avoir sur le spectateur. Stendhal évoque par exemple, dans la Vie de Rossini (1824), un spectacle de marionnettes auquel il a assisté à Rome : à la fin de la représentation, un enfant de la troupe s’approche pour souffler les bougies et le public, encore sous l’emprise du spectacle, recule d’effroi, croyant voir un géant.
Tout le plaisir que l’on trouve au spectacle tragique dépend de la fréquence de ces petits moments d’illusion, et de l’état d’émotion où […] ils laissent l’âme du spectateur.
Dans Racine et Shakespeare, une autre anecdote est restée célèbre, celle du « soldat de Baltimore » : un planton en faction lors d’une représentation d’Othello (1604) de Shakespeare tire sur l’acteur incarnant le rôle-titre au moment où, dans la pièce, le personnage d’Othello tue son épouse Desdémone. Bien utilisé, le théâtre est décidément capable de créer l’illusion et d’agir avec force sur les émotions du spectateur.
Le modèle shakespearien
La référence à Shakespeare n’est pas innocente. La génération de Stendhal découvre le théâtre du dramaturge anglais, qui commence à être traduit et joué en France : pour elle, Shakespeare incarne une forme de théâtre qui ne respecte pas les nombreuses règles (règle des trois unités, règle de la bienséance) régissant le théâtre français depuis le 17e siècle et qui est capable par là-même de susciter émotion et intérêt chez le spectateur. Mais le goût du public français est encore trop étroit : en juillet 1822, une troupe anglaise qui joue Shakespeare à Paris provoque des émeutes et doit finalement, par crainte de nouveaux désordres, jouer devant un seul public de souscripteurs.
Adapter le théâtre à son époque

Bibliothèque nationale de France
Ce qu’il faut imiter de ce grand homme [Shakespeare], c’est la manière d’étudier le monde au milieu duquel nous vivons.
Au-delà du seul exemple racinien, toute la deuxième partie de l’essai se concentre sur le comique, où l’effet immédiat sur le spectateur est central : or, nous dit Stendhal, peut-on espérer faire rire en 1823 en adoptant les mêmes procédés comiques que Molière ? Stendhal plaide donc pour un théâtre qui s’adapte aux circonstances historiques et aux conditions de la vie littéraire de son époque, et qui renonce aux règles immuables pour donner au spectateur le plus de plaisir possible : être moderne apparait comme un impératif pour créer des œuvres qui touchent le public. Cette posture pragmatique permet à Stendhal de donner un contenu théorique au « romanticisme », défini ici comme la prise en compte de l’ancrage historique de la création littéraire et la promotion d’un droit à la nouveauté contre la tradition défendue par les classiques.
Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).
Lien permanent
ark:/12148/mmjc2c41m7pxn