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Buffon, un homme aux multiples talents

Georges Louis Leclerc, comte de Buffon
Georges Louis Leclerc, comte de Buffon

Bibliothèque nationale de France

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Homme exceptionnel par la diversité des talents, par la réussite à peu près constante qui a couronné ses efforts, par la longueur d'une vie admirablement pleine, Buffon a été et est encore souvent mal compris. On lui refuse souvent la qualité de savant parce qu'il fut aussi un remarquable administrateur, et un homme d'affaires avisé ; on en a fait une sorte de La Fontaine en prose, au style pompeux, aux manchettes de dentelles, tout occupé de ciseler des formules du genre de celle qui, du cheval, a fait « la plus noble conquête de l'homme ». Il n'est donc pas inutile de parler encore une fois de ce personnage, le plus grand peut-être de l'histoire du Jardin du roi et du Muséum.

Entre Montbard et Paris

Premières années

Vue du cabinet de Buffon et de la tour de Montbard
Vue du cabinet de Buffon et de la tour de Montbard |

Bibliothèque nationale de France

Né en 1707, la même année que son rival du Nord, Carl von Linné, Georges Leclerc est issu d'une famille bourgeoise de Montbard, en Bourgogne. La famille s'enrichit en 1717 grâce à l'héritage d'un aïeul maternel, qui permet à son père d'achèter la terre de Buffon. Jusqu'à 25 ans, le futur grand homme étudie le droit, chez les jésuites de Dijon, puis la médecine à Angers, sans aller jusqu'au doctorat. 

En compagnie du jeune duc de Kingston, il parcourt en 1731, six mois durant, le midi de la France, et c'est à Rome en 1732, qu'il apprend la mort de sa mère. Ce décès, d'ailleurs cruellement ressenti, le fait riche et indépendant. Sa jeunesse est terminée. Il vient alors à Paris et loge chez Boulduc, apothicaire du roi : un homme utile.

Une science appliquée

Buffon entre dès 1733 à l'Académie des sciences, grâce à Boulduc et au ministre Maurepas. Pendant les sept années qui suivent, il se fait connaître par divers travaux scientifiques qu'il a l'art de transformer en excellentes opérations finan­cières. La gloire et la fortune viennent rapidement à sa rencontre et lui resteront fidèles jusqu'au bout. 

Malgré ses succès parisiens, Buffon reste très attaché à sa province et vit à Montbard une partie de l'année. Il utilise les arbres de ses forêts pour se livrer, à la demande du ministre de la Marine, à plusieurs séries d'expériences sur la résistance des bois en collaboration avec l'agronome Duhamel du Monceau. En 1734, il fonde à Montbard une pépinière, puis la vend en 1736 à la province de Bourgogne... tout en se faisant payer par celle-ci pour continuer d'en assurer la direction.

Un voyage Outre-Manche, en 1738, lui permet de se faire élire membre de la Royal Society de Londres et de se convaincre de l'importance du microscope comme instrument de recherche.

L’Observation au microscope
L’Observation au microscope |

© Bibliothèque nationale de France

Buffon et le Jardin du roi

Au mois de juillet 1739, s'ouvre à Buffon la chance de sa vie : Du Fay, intendant du Jardin du roi, est très gravement malade. Qui va lui succéder ? Buffon le voudrait bien, mais il n'est pas seul : Duhamel du Monceau, collaborateur de naguère, est à présent son rival ; Maupertuis, qui vient de prouver que la terre est aplatie aux pôles, est également sur les rangs. Des trois candidats, tous membres de l'Académie royale des sciences, Buffon a le moins de titres scientifiques, mais ni Duhamel ni Maupertuis n'ont son habileté et sa chance. Du Fay meurt le 16 juillet. Dix jours plus tard, Buffon est nommé par Louis XV intendant du Jardin et des Cabinets d'histoire naturelle du roi. Cinquante années durant, il « règnera » sur le Jardin royal.

Jardin du Roi
Jardin du Roi |

Bibliothèque nationale de France

Le labyrinthe du Jardin du Roy
Le labyrinthe du Jardin du Roy |

Bibliothèque nationale de France

Dès lors, et plus nettement encore que par le passé, sa vie se partage entre deux milieux différents. Au Jardin du roi, Buffon passe les mois d'hiver. Son action, poursuivie pendant un demi-siècle, y est particulièrement féconde : par une suite de tractations souvent complexes, il double la surface du Jardin, non sans réaliser dans ces opérations de très gros bénéfices personnels. 

Trois fois, il réorganise le Cabinet d'histoire naturelle, prodigieusement enrichi. S'il intervient peu dans les trois enseignements du Jardin (botanique, chimie, anatomie), il ne laisse à personne le soin de choisir le personnel scientifique. Ses choix font le plus grand honneur à sa perspicacité : Antoine-Laurent de Jussieu et Desfontaines en botanique ; Rouelle et Fourcroy en chimie ; Ferrein, Petit et Portai en anatomie. Son compatriote de Montbard, Daubenton, mais aussi Faujas de Saint-Fond et Lacépède sont placés au Cabinet d'histoire naturelle. C'est encore Buffon qui découvre Lamarck, l'une des gloires du Muséum au siècle suivant.

Le Cabinet d’histoire naturelle
Le Cabinet d’histoire naturelle |

Bibliothèque nationale de France

L'Histoire naturelle, une audace scientifique

Dans sa maison de Montbard, richement reconstruite à partir de 1734, et à laquelle il a annexé les ruines du château médiéval qui la surplombent, Buffon passe les mois ensoleillés. Ainsi, tout en s'informant par correspondance de la vie du Jardin du roi, il peut gérer ses biens, poursuivre ses expériences de sylviculture. À partir de 1760, il se fait aussi métallurgiste en créant des forges dont il fait une véritable usine où travaillent jusqu'à quatre cents ouvriers. 

Les Forges de Montbard
Les Forges de Montbard |

© Bibliothèque nationale de France

Une tâche colossale

Surtout, il peut, loin des obligations de la capitale, consacrer le meilleur de son temps à l'œuvre de sa vie : l'Histoire naturelle. À l'origine, il s'agit d'une description du Cabinet d'histoire naturelle du roi, demandée par Maurepas ; mais, très vite, Buffon conçoit un projet beaucoup plus vaste et, laissant les minutieuses et lassantes descriptions des collections royales à Daubenton, il entreprend de peindre la nature tout entière. Tâche immense, pour laquelle le prospectus diffusé en 1748 prévoit quinze volumes. En fait, à la mort de Buffon, quarante ans plus tard, trente-cinq gros volumes sont déjà publiés et un trente-sixième est sous presse.

L'Histoire naturelle générale et particulière

Manuscrit de l'introduction à l'Histoire naturelle
Manuscrit de l'introduction à l'Histoire naturelle |

Bibliothèque nationale de France

Cet énorme travail se divise en plusieurs séries successives pour la rédaction desquelles Buffon s'est adjoint, tout à tour, divers collaborateurs. D'abord, de 1747 à 1767, paraissent les quinze volumes in-4° de l'Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du Cabinet du roi. Si les hypothèses sur les origines et la jeunesse de la Terre incluses par Buffon dans son premier tome lui valent, d'entrée de jeu, les attaques de la Faculté de théologie, le succès est immédiat. Désormais célèbre, l'auteur de l'Histoire naturelle entre à l'Académie française et prononce pour sa réception, le 25 août 1753, son fameux Discours sur le style.

Malgré les critiques nom­breuses, sur le fond ou sur la forme, de Voltaire, Réaumur, d'Alembert et de bien d'autres, Buffon poursuit son dessein, remplissant ces quinze volumes par des vues générales sur l'histoire naturelle, une théorie de la Terre, des comparaisons entre les trois règnes de la nature, l'histoire naturelle de l'homme et celle des animaux. Là, Buffon développe la fameuse théorie des « molécules organiques » qui composeraient les êtres vivants et du « moule intérieur » qui permettrait leur organisation.

Page de titre du premier tome de l’Histoire naturelle
Page de titre du premier tome de l’Histoire naturelle |

© Bibliothèque du Muséum national d’Histoire Naturelle

Puis vient la description méthodique des quadrupèdes domestiques et sauvages, dont la monotonie est rompue, ici ou là, par des vues générales, souvent importantes et audacieuses, sur la dégénérescence des animaux, par exemple. Quant à Daubenton, il occupe la fin de chaque tome en décrivant les collections du Cabinet du roi correspondant au texte de Buffon. 

L'histoire naturelle des oiseaux

De 1770 à 1783, l'Histoire naturelle des oiseaux est publiée en neuf volumes in-4° Cette édition, illustrée en noir et blanc, est doublée d'une édition de luxe en dix volumes in-folio ornée de planches en couleurs dessinées et gravées par Martinet. Les textes sont de Buffon, avec la collaboration de Guéneau de Montbeillard et de l'abbé Bexon. Daubenton, dont la description du Cabinet a été jugée fastidieuse, est écarté. Il gardera une tenace rancune de cette disgrâce.

Le paon
Le paon |

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La huppe noire et blanche du Cap de Bonne-Espérance
La huppe noire et blanche du Cap de Bonne-Espérance |

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Suppléments et derniers tomes

Le Caméléon
Le Caméléon |

Bibliothèque nationale de France

Buffon vieillit, mais sa puissance de travail reste intacte. Malgré les critiques qui, pour le rabaisser, voudraient faire attribuer le meilleur de son œuvre à ses collaborateurs, il poursuit. La publication de l'Histoire naturelle des oiseaux n'est pas achevée que déjà paraissent, à partir de 1774, des suppléments aux parties déjà éditées, sup­pléments non négligeables puisqu'ils remplissent sept volumes et contiennent au moins un texte essentiel : le Discours sur les époques de la nature qui attire les foudres de la Sorbonne et aurait coûté cher peut-être à Buffon sans les puissants appuis dont il bénéficiait. Dans ces pages, basées sur l'intuition, mais aussi sur l'expérience, se trouvent en germe la géologie et la paléontologie du 19e siècle.

Les cinq derniers tomes, parus de 1783 à 1788, c'est-à-dire l'Histoire naturelle des minéraux et le Traité de l'aimant contiennent encore de très beaux passages et des vues pénétrantes, sur les rapports entre matière inerte et matière vivante, par exemple.

Postérité

Vers la fin de sa vie, l'intendant du Jardin du roi est devenu un grand personnage, auquel les princes de l'Europe viennent rendre visite, ou adressent de riches présents. Son influence devient, à la fin du siècle, européenne, sans parler des terres lointaines où les naturalistes-voyageurs portent son nom. 

Au début de 1788, Buffon, sentant la fin approcher, est revenu de Montbard au Jardin du roi. C'est là qu'une dernière crise de gravelle l'emporte, le 16 avril 1788, juste à temps pour le soustraire aux fureurs de la Révolution. Ses funérailles sont grandioses. Il a tout réussi, même sa mort, à laquelle le crépuscule de l'Ancien Régime sert de majestueuse toile de fond. Sa disparition, pourtant, est ressentie avec joie par quelques-uns, avec soulagement par presque tous. Puis viennent les critiques...

On n'a pas fini de discuter les mérites de Buffon, d'énumérer ses erreurs et de souligner ses travers. Son œuvre, toutefois, est trop importante pour qu'on puisse la négliger. Quant au Jardin du roi, devenu le Muséum d'histoire na­turelle, il ne serait sûrement pas ce qu'il est si, entre Fagon et Cuvier, son destin n'avait été lié pour un demi-siècle à celui de ce grand seigneur né bourgeois : Georges Leclerc, comte de Buffon.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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