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Mademoiselle de Maupin

Gautier, 1835
Magdeleine de Maupin
Magdeleine de Maupin

Domaine public / CC0

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Si l'on réduit souvent le roman Mademoiselle de Maupin à sa préface, il est temps de redécouvrir ce livre d'une étonnante modernité quoique publié en 1835. On qualifierait peut-être aujourd'hui de « féministe » avant l'heure cette héroïne qui se travestit en homme pour mieux éprouver les libertés de la condition masculine.
 

Les livres suivent les mœurs et les mœurs ne suivent pas les livres.

Théophile Gautier, Préface à Mademoiselle de Maupin, 1835

Ce roman, publié avec le sous-titre « Double amour », est inspiré par Julie d'Aubigny dite Mademoiselle de Maupin (1670-1707)  une actrice et cantatrice qui avait scandalisé ses contemporains à la fin du 17e siècle par sa bisexualité et ses dons à l’escrime. Au début du roman sont reproduites les lettres d'un jeune homme, d’Albert, confiant sa quête désespérée du Beau idéal (au sens platonicien) , que seul il pourrait aimer. Rosette, sa voluptueuse maîtresse dont il n’est pas amoureux, a bien compris d’Albert : « C’est un de ces hommes dont l’âme n’a pas été trempée assez complètement dans les eaux du Léthé avant d’être liée à son corps, et qui garde du ciel dont elle vient des réminiscences d’éternelle beauté qui la travaillent et la tourmentent, qui se souvient qu’elle a eu des ailes, et qui n’a plus que des pieds. » D’Albert finit pourtant par trouver l’incarnation de son idéal en la personne de Théodore, un jeune chevalier qui semble unir toutes les perfections.

Mademoiselle Maupin de l’Opéra
Mademoiselle Maupin de l’Opéra |

Bibliothèque nationale de France

Les doutes de d’Albert sur son éventuelle homosexualité se dissipent vite quand il comprend que Théodore est le travestissement adopté par Madeleine de Maupin, jeune aristocrate en quête de la vérité sur les hommes et sur elle-même. Réflexions esthétiques et analyses psychologiques accompagnent le parcours de ces deux personnages.

Un roman scandaleux

Travestissements, libertinage et bisexualité : le roman avait tout pour scandaliser les critiques. Pour La Revue de Paris, « le livre de M. Gautier est de ceux dont on ne peut parcourir une page sans le fermer aussitôt avec dégoût et indignation. »

Nous ne sommes heureusement plus au temps d'Eve la blonde et nous ne pouvons [...] être aussi patriarcaux que l'on était dans l'arche.

Théophile Gautier, « Préface » à Mademoiselle de Maupin, 1835

Mais tous les lecteurs ne voient pas dans le roman « le dévergondage d’une imagination blasée » et après un premier échec, Mademoiselle de Maupin connaît le succès : l’édition revue et corrigée chez Charpentier connaît vingt-trois réimpressions entre 1851 et 1883.

À la poursuite de l'idéal

Si la volupté joue un rôle important dans cette intrigue où les personnages sont loin d’être sourds à « la voix du corps », il serait très réducteur de ne voir dans Mademoiselle de Maupin qu’un roman libertin. La transgression de l’héroïne remet en cause les limites imposées à la condition féminine. Le travestissement de Madeleine est, paradoxalement, une voie d’accès à la vérité : en côtoyant les hommes, elle découvre et apprend à connaître cette autre moitié de l’humanité où elle est destinée à trouver un mari. Mais c’est surtout sur elle-même qu’elle apprend la vérité : « Sous mon front poli et mes cheveux de soie remuent de fortes et viriles pensées ; toutes les précieuses niaiseries qui séduisent principalement les femmes ne m’ont jamais que médiocrement touchée. »

Mademoiselle de Maupin
Mademoiselle de Maupin |

Bibliothèque nationale de France

L’androgynie qui définit Madeleine constitue l’idéal esthétique de d’Albert : la quête amoureuse de ce héros romantique illustre la tension entre l’aspiration à un idéal et l’amour de la réalité matérielle. Les deux personnages offrent ainsi une réflexion sur les rapports conflictuels entre l’esprit et le corps, entre le rêve et le réel.

Une célèbre préface

Aujourd’hui, le roman est surtout célèbre pour sa préface, qui est parfois éditée indépendamment de lui. Ce texte flamboyant par son sarcasme constitue la réponse à un violent article du journal Le Constitutionnel qui accusait Gautier d’immoralité parce qu’il avait fait l’éloge de Villon, jugé également immoral.

Charles Baudelaire
Charles Baudelaire |

Bibliothèque nationale de France

Les Fleurs du mal : dédicace à Théophile Gautier
Les Fleurs du mal : dédicace à Théophile Gautier |

Bibliothèque nationale de France

Gautier réplique en faisant la critique de la critique qui juge la littérature à l’aune de critères absurdes : la littérature n’est pas au service de la société ni de la morale. Elle n’est pas liée à la notion de progrès mais à celle de plaisir.

Au poète impeccable, le parfait magicien ès langue française, à mon très cher et très vénéré maître et ami Théophile Gautier...

Charles Baudelaire, première dédicace aux Fleurs du Mal, 1857

Gautier oppose l’utile et le beau, accable de son mépris le premier et prend résolument parti pour le second : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid ; car c’est l’expression de quelque besoin ; et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. » Le roman réalise ce programme de « l’art pour l’art » : la liberté et la quête du beau y caractérisent aussi bien l’écriture que le destin des personnages.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017)

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