Outils et techniques du chantier

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Des centaines de chantiers au Moyen Âge
Le bilan de la période gothique est impressionnant en termes de constructions. Des dizaines de chantiers de cathédrales et des centaines de chantiers d’églises voient le jour, mobilisant des bataillons d’ouvriers qualifiés. Car la construction d’édifices religieux nécessite des techniciens compétents. Se rassemblent ainsi des maçons, des tailleurs de pierre, des forgerons, des verriers, des charpentiers et d’autres encore dans une organisation très stricte et hiérarchisée. C’est dans ce contexte d’intense concurrence entre les villes que les architectes et les maîtres maçons cherchent à retenir ou attirer les meilleurs artisans. Ceux-ci sont itinérants et peuvent passer d’un chantier à l’autre, parcourant parfois l’Europe entière.
En bas à droite, un tailleur de pierre reporte des mesures avec un compas métallique. Un deuxième, debout devant un bloc sur lequel est posée une gradine, tient une équerre. Un troisième façonne un bloc avec une polka.
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Engins de levage
Les constructeurs gothiques utilisaient des machines pour soulever bois et pierres. Les plus puissantes étaient composées d'une grande roue en "cage d'écureuil" mue par des hommes se déplaçant à l'intérieur de celle-ci. Parmi tous les dispositifs mécaniques qu'il a imaginés, Villard de Honnecourt nous a légué les dessins d'une machine élévatoire.

La grue à cage écureuil
C’est vers le milieu du 13e siècle que le principe de la roue est adapté aux engins de levage afin de monter des charges plus lourdes. Mais ce n’est qu’au 15e siècle que le terme de grue apparaît pour désigner un engin de levage. La grue ne sert pas qu’à bâtir, on la retrouve comme machine de destruction lors de sièges ou pour charger et décharger les marchandises des navires dans les ports.
Les grue à roue écureuil sont des instruments fixes, fortement arrimées à la maçonnerie. Lorsqu’elles ne sont pas en activité ou que la construction s’élève, des charpentiers les démontent et les positionnent plus haut. Ces grues sont actionnées grâce à un tympan dit aussi cage d’écureuil ou treuil à tambour, constitué par un grand tambour mobile dont le diamètre est compris entre 4 et 5 m pour une largeur de 0, 80 à 1, 50 m. Cette cage munie de rayons est montée sur un axe qui entraîne un tambour solidaire sur lequel vient s’enrouler la corde qui tire la charge à soulever. C’est le poids de l’individu qui crée de l’énergie : en effet un ou plusieurs hommes marchent à l’intérieur de cette roue ; parfois l’intérieur du tambour est muni de planches ou de lattes formant des marches, pour faciliter le déplacement.
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Machines, engins, automate.
Les machines, le piège automatique et l'automate dessinés sur cette page sont représentatifs des progrès techniques de l'époque, ainsi que de la diversité des centres d'intérêt des constructeurs gothiques et des technologies qu'ils devaient maîtriser.
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Le compas

Leçon de géométrie
Le professeur, tonsuré et vêtu en moine (c’est un clerc d’Église) exécute sur un tableau de bois chaulé, posé verticalement sur un tabouret au bénéfice de ses élèves, les schémas géométriques de base : carré, triangle, triangle inscrit dans un cercle (un problème classique), deux carrés superposés selon deux axes, formant une étoile à huit branches, un quatrefeuilles, un trilobe (ces deux dernières figures utiles aux maçons et aux enlumineurs). À l’aide d’un compas, il trace des courbes qui forment intersection.
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0Villard de Honnecourt a figuré dans son Carnet un compas à secteur dans lequel le quart de cercle, fixé sur l'une des branches, coulisse à travers l'autre branche ce qui permet à la fois le blocage du compas sur certaines positions d'ouverture et l'utilisation de graduations gravées sur le secteur courbe pour retrouver angles et proportions.
Les compas à branches articulées se faisaient de diverses dimensions, avec ou sans "secteur" et en général sur le chantier, à pointes sèches, facteur de précision. Sur le chantier, l'architecte en compagnie de son aide, l'appareilleur, utilisait un très grand compas pour reporter, grandeur nature, les tracés des projets sur les pierres.

Tracés de construction.
Totes ces figures sunt estraites de geometrie.
"Toutes ces figures sont des tracés de géométrie."
L'auteur des légendes explicatives, qui ont été intercalées dans les dessins, précise ici qu'il s'agit de géométrie. Cette page montre divers procédés utiles pour les constructeurs et les ingénieurs, et qui font appel à des notions de géométrie, et même de stéréotomie.
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L'équerre

Les outils du maçon tailleur de pierre
La pierre brute n’est pas informe, car elle arrive souvent de la carrière déjà dégrossie, et le premier travail de l’artisan sera d’établir un dessin précis déterminant les formes et dimensions de la pierre qui prend place dans un ensemble. C’est seulement ensuite qu’à l’aide du maillet et du ciseau il réalisera la ciselure des arêtes de la première face du volume recherché, puis qu’à l’aide d’outils plus adaptés, notamment le marteau taillant et le pic, il dégagera cette face, en vérifiant sa planéité grâce à la règle. À partir de cette première face de référence, par tracés d’équerre, mesures au compas, ciselures et aplanissement, il réalisera la deuxième face, puis la troisième, etc. La réalisation d’une pierre parfaitement cubique résulte donc moins de la transpiration du tailleur de pierre que de sa réflexion, de sa connaissance de la géométrie et de l’emploi des outils le mieux adaptés à telle ou telle nature de pierre. En réalité, le tailleur de pierre est un spéculatif…
Centre d’études des compagnonnages
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Dagobert visitant le chantier de la construction de Saint-Denis
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Pour l'ouvrier de l'époque de Villard de Honnecourt, l'équerre est le gabarit d'un angle droit. L'équerre de Villard de Honnecourt présente, comme certaines équerres qu'on trouve sur des bas-reliefs, la particularité que les angles droits qui sont de part et d'autre des branches ont leurs côtés non parallèles. Cette légère convergence a donné lieu à diverses hypothèses. Les deux branches d'une équerre pouvaient comporter des repères gravés permettant de tracer des angles particuliers ou des rapports utiles (côté du carré et sa diagonale, proportion dorée, angles correspondant à différentes figures).
Sur un vitrail de la cathédrale de Chartres, qui représente les outils des maçons et des tailleurs de pierre, on voit une curieuse équerre dont l'une des branches est courbe, la tangente à la courbe au raccordement avec la branche droite étant perpendiculaire à cette branche. C'est en somme un gabarit adapté à une courbe donnée, et qui permet, à partir d'un rayon, c'est-à-dire d'un joint entre deux claveaux, de tracer la courbe de l'intrados de l'arc.
La règle

Construction de Saint-Jacques de Compostelle
© Bibliothèque nationale de France
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La virga, ou latte à mesurer, était un instrument de mesure simplificateur par définition.
Étalon de longueur sur le chantier, il répondait à la fois à une économie de matière, à une commodité de manipulation, à un moindre encombrement à l'atelier et sur le chantier ainsi qu'à une facilité d'accession qui ne nécessitait pas obligatoirement de savoir lire. Il pouvait notamment permettre de réaliser une opération d'implantation au sol.
La virga est parfois représentée, sur certaines miniatures, entre les mains de l'architecte comme une baguette de chef d'orchestre.
À une époque où les mesures variaient d'une province à l'autre et même d'une ville à l'autre, et où chaque ouvrier n'avait pas, comme aujourd'hui, son mètre pliant ou roulant dans la poche de sa cotte, la virga était la mesure propre à chaque maître d'œuvre et l'insigne de son commandement.
Le cordeau

Tracés de construction
Sur cette page, dont le thème est annoncé sur le texte de la page 36, Villard de Honnecourt expose des procédés utilisés dans la construction et indique comment effectuer certains tracés et effectuer certaines opérations.
Des photographies, exécutées sous éclairages ultra violet et infra rouge, ont fait apparaître, près du haut de la tour, un dessin gratté, inconnu jusque-là. Il représente un arc brisé "quint-point" dans lequel sont tracés deux demi-cercles. Cette figure présente des particularités tout à fait étonnantes, dans le domaine de la quadrature du cercle et de la détermination du nombre pi, qui ont été remarquées par Roland Bechmann. Mais il est impossible de savoir si Villard l'utilisait à cela.
À côté des croquis du haut, on distingue aussi plusieurs dessins qui ont été grattés et qui apparaissent sous éclairage ultra violet. Ils représentent des états antérieurs de la réflexion de l'auteur des dessins et confirmeraient notamment l'hypothèse d'un "triangle de référence" permettant le tracé de diverses proportions d'arcs brisés.
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Le cordeau est l'outil simple et pratique sur tout chantier. Lesté, il sert de fil à plomb et définit la verticale, s'il n'y a pas de vent...
Il sert aussi à tracer des rayons convergeant sur un centre et permettait de tracer les joints d'un arc à partir du centre, ce que Villard de Honnecourt montre page 40.
Le cordeau peut aussi permettre de tracer, sur le terrain ou l'aire de traçage, des cercles de n'importe quelle dimension. Il peut matérialiser des droites et reste d'usage courant sur les chantiers pour marquer les axes principaux ou les parements des murs. On pouvait aussi en principe, mais de façon plus approximative en pratique, trouver le centre d'un arc en prolongeant avec un cordeau les joints d'un claveau, ou d'un voussoir, comme le suggère la légende d'un croquis de la page 41.
Villard de Honnecourt montre comment en enroulant un cordeau autour d'un cylindre, sur lequel des points ont été régulièrement disposés le long de génératrices, on peut tracer une hélice, pour tailler une vis.
Le niveau
Le niveau, parfois combiné avec l'équerre, servait à vérifier les aplombs.
Au 13e siècle, les constructeurs n'ont à leur disposition que différentes formes de niveau à plomb.
L'archipendule servait de niveau et d'équerre et pouvait aussi être utilisée pour mesurer des pentes grâce à des repères sur la traverse.
Villard de Honnecourt montre en plusieurs endroits une sorte de niveau-règle.
Lorsqu'il parle de "plomb", il peut désigner le plomb du niveau qui permet de mettre cet instrument horizontal ou vertical en modifiant le point d'attache du fil. En général, d'ailleurs, les deux termes "sans plomb et sans niveau" sont couplés.
Les "moles"
Exécutés en métal ou en bois, les "moles" étaient des modèles (des "patrons" au sens où l'entendent les tailleurs d'habits) des différentes faces des pierres. Ce mot désignait aussi les gabarits qui indiquent la section et les profils des moulures, des nervures, des bandeaux, des saillants, des colonnes et piliers de toute espèce. Plaques découpées de faible épaisseur, sur le modèle duquel on taillait le profil et qu'on faisait courir sur toute la longueur de l'élément profilé pour en vérifier la conformité, ces gabarits pouvaient êtres utilisés pour des éléments courbes.
Ces modèles, grandeur nature, étaient encombrants et onéreux mais permettaient l'exécution à distance, sur le lieu où l'on taillait les pierres. Pour réduire la dépense et faciliter le travail, tant de ceux qui les dessinaient et les découpaient que de ceux qui les utilisaient pour tailler la pierre, il fallait réduire autant que possible le nombre de modèles différents. Ainsi les constructeurs étaient-ils amenés à rechercher la standardisation des pierres.
À plusieurs reprises reviennent dans le carnet de Villard de Honnecourt de Honnecourt des expressions telles que sans mole (sans modèle), sans niveau, sans plomb, comme si l'un des soucis des architectes du 13e siècle avait été, chaque fois que possible, de se passer de ces moyens qui intervenaient dans l'exécution. Les erreurs possibles d'un nivellement exécuté de proche en proche, avec un niveau de dimensions réduites, ou la difficulté d'utiliser un fil à plomb le long d'une paroi parsemée de saillies expliquent sans doute le souhait de pouvoir se passer parfois de ces instruments. Quant à l'intérêt de se passer de "moles", il réside dans l'économie réalisée, les modèles, reproductions grandeur nature généralement en bois des faces des pierres à tailler, étant onéreux.
Provenance
Cet article provient du site Les cathédrales et Villard de Honnecourt.
Lien permanent
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