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Parcours pédagogique

Du studiolo au cabinet de curiosités

Par Murielle Luck, professeure agrégée d'arts plastiques
12 min de lecture
Le cabinet de curiosités de Ferrante Imperato
Les humanistes de la Renaissance et du 17e siècle se conçoivent comme les héritiers du savoir antique, dont ils sont à la fois les dépositaires et les transmetteurs. Toutes sortes de témoignages de la pensée intellectuelle ainsi que les merveilles de la nature vont trouver un écrin dans des lieux de conservation, de travail et de consultation que sont les studiolo, puis les cabinets de curiosité. Un phénomène qui nous est connu par des témoignages faits de bois, de pigments et d’encre.
En explorant l'esthétique de ces pièces pleines de trésors, ce parcours destiné à des élèves de cycle 3 propose des pistes de travail plastique autour de l'idée de collection.
 
Les ressources pour réaliser l'activité

Le studiolo

Délibérément petit et éloigné de toutes distractions du monde, le studiolo de la Renaissance trouve son inspiration dans les écrits d'auteurs de l’Antiquité, en tant que lieu propice à la médiation et entièrement dévolu à la réflexion. Si certains sont ouverts à la visite ou permettent de recevoir visiteurs et amis, beaucoup sont avant tout des pièces intimes, où les humanistes peuvent se retirer. Ils s’entourent alors de livres, d’instruments scientifiques et d'objets d'art à même de les encourager dans leur quête de savoir.

Dans le studiolo de Frédéric III de Montefeltre à Urbino, un riche décor de marqueterie en trompe l'œil représente des étagères pleines de gros manuscrits, d'astrolabes et de sphères armillaires, d'instruments de musique, d'armes et d'armures, d'animaux exotiques... tandis que des peintures figurent les grand intellectuels du passé et du présent. Bien que provenant d'un contexte religieux, le Panneau d’armoire avec attributs scientifiques et musicaux attribué à Fra Vincenzo Dalle Vacche s'inscrit dans une esthétique semblable : il montre une variété d'instruments de mesure du monde et de divertissement musical, avec une attention particulière portée aux détails comme les essences de bois et les motifs décoratifs.

Le cabinet de curiosité

De ces lieux d'étude et de méditation, d’autres sont nés pour conserver plus précisément les objets naturels comme culturels, pour exhiber les richesses du monde : les cabinets de curiosités.

Créés par des collectionneurs éclairés à partir des années 1550, ces cabinets sont des lieux dédiés à l'exploration des merveilles du monde, qu'elles soient naturelles ou œuvres de l’homme. Ces espaces intellectuels étaient des sanctuaires où la curiosité était stimulée, rassemblant une variété d'objets, allant des reliques exotiques aux spécimens zoologiques, des minéraux rares aux œuvres d'art d’époques variées, comme l'apothicaire napolitain Ferrante Imperato nous le montre dans la représentation de son cabinet de curiosité. On peut en effet distinguer sur cette estampe du 17e siècle, une pièce entièrement consacrée aux savoirs et à la contemplation d’espèces exotiques. À ne pas douter, un tel lieu préfigure les muséums d’histoire naturelle.

L'esthétique des cabinets de curiosités n'était pas seulement une question d'arrangement d'objets, mais plutôt la création d'un véritable spectacle extraordinaire marqué par l'accumulation. Les pièces, soigneusement organisées, formaient une représentation visuelle de la richesse et de la diversité du monde connu. Les murs étaient ornés de scènes érudites, devenant des toiles vivantes où la science et les arts se rencontraient.

Ces lieux reflètent la prise de conscience de l'importance de préserver connaissances et objets dans des écrins dignes d'eux. Pendant la Renaissance, et dans les siècles qui suivirent, les humanistes ont cherché à préserver le passé en traitant les objets anciens presque comme des reliques : leur préciosité était reconnue et donc protégée. Ces objets, témoins silencieux d'époques révolues, étaient soigneusement présentés dans des vitrines et autres mobiliers destinés à les préserver de manipulations maladroites mais aussi à exposer ces raretés comme les richesses qu’elles représentaient alors, évitant ainsi de tomber dans l'oubli.

Au-delà de leur aspect décoratif, les cabinets de curiosités étaient aussi des centres d'apprentissage, sorte de passage entre la curiosité et la « studiosité », permettant de mieux comprendre le monde. Ils témoignent de l'union entre la recherche du savoir, la passion pour la rareté et l'expression artistique, marquant ainsi l'histoire culturelle de manière indélébile.

Les ressources pour réaliser l'activité

Les cabinets de curiosité étaient parfois thématiques, mais comportaient pour la plupart des objets d'une grande diversité. Les minéraux avaient une grande importance. Les « pierres philosophales » stimulaient les sciences, fascinées par l'idée de substances capables de transformer la matière en or. Des cristaux rares, comme le quartz fumé, étaient aussi appréciés pour leur transparence mystique, symbolisant l'union entre la terre et le cosmos. Ces minéraux, au-delà de leur valeur géologique, motivaient les aspirations alchimiques et métaphysiques de l'époque. Ainsi, la préservation de ces témoignages terrestres riches en mystères et porteurs de futures découvertes prend tout son sens.

Les coquillages exotiques, symboles de voyages lointains et de découvertes maritimes, étaient particulièrement appréciés dans ces espaces merveilleux. Des spécimens comme la conque de triton, évoquant la mythologie antique, ou les coquilles issues d'une biodiversité océanique fascinante, contribuaient à raconter une histoire maritime, célébrant les grandes explorations. Cette passion pour conserver l'image de ces trésors se retrouve également chez les artistes peintres, qui, à travers des natures mortes, représentent ces objets naturels de manière réaliste, comme on peut le voir dans l'œuvre d’Adrisen Coorte, Six coquillages sur une table de pierre.

Les instruments scientifiques occupaient eux aussi une place importante dans les cabinets de curiosités de la Renaissance, préfigurant les technologies modernes. Les astrolabes, utilisés pour la navigation céleste, symbolisaient la fusion entre la connaissance astronomique et la navigation maritime. Les sphères armillaires reflétaient l'excitation intellectuelle entourant les découvertes cosmologiques et géographiques de l'époque, comme illustré dans le décor du studiolo d'Urbino.

Ainsi, les cabinets de curiosité n'étaient pas simplement des expositions d'objets, mais plutôt des compositions dynamiques où chaque instrument racontait une histoire unique, contribuant à une mosaïque d'émerveillements.

Les ressources pour réaliser l'activité

Le tableau de Domenico Remps (1620-1699) est un témoignage subtil de ce que devaient représenter l’importance des cabinets de curiosités à la Renaissance. Son sujet est pleinement dédié à la fascination pour ces objets éclectiques.

Dans une vaste armoire vitrée, des objets variés sont rassemblés, de nature et d'origine différentes. Il s'agit d'un mélange minutieusement arrangé d'éléments naturels et artificiels, dont le seul point commun est leur rareté et leur valeur précieuse. La disposition est délibérément désordonnée, où coquillages et coraux sont entourés d’armes et de coléoptères pour mettre en avant l'abondance de ces richesses, tout en guidant l'harmonie des couleurs.

Bien que différents objets cohabitent sur les étagères, certains éléments sont disposés en quasi symétrie comme les branches de corail, les paysages et les médailles sur les volets ouverts. Ce même système est utilisé également sur l’étagère centrale où les camées et les ivoires tournés créent l’équilibre. Cette harmonie un peu rigide se trouve cependant contrariée par la gravure d’un paysage épinglée négligemment sur le panneau droit, semblant rappeler que le cabinet de curiosité n’est pas figé et sera complété par de nouvelles trouvailles. De même, un curieux billet estampillé d’un sceau, dont on ne parvient à deviner que quelques mots calligraphiés, semble avoir été abandonné, glissé derrière une baguette métallique servant d’entretoise aux carreaux de verre du cabinet.

L’artiste, soucieux de donner un message au travers de son œuvre, ajoute discrètement une vanité dans un coin de l’étagère du haut par la présence d’un crâne humain surmonté d’un corail flamboyant. Ce memento mori fait suite à deux miroirs, concave et convexe, renvoyant des images déformées du monde, et conduit le regard vers une réalité : méditons sur la mort et les plaisirs terrestres fugaces car quasiment toutes les vitres de ce cabinet sont brisées ; posséder des objets ne seraient peut-être que futilité.

Les ressources pour réaliser l'activité

Questionnements, thèmes et dispositifs

Des questionnements pour problématiser :

  • En quoi l’objet peut-il être témoin d’une époque ?
  • Comment mettre en valeur l’objet présenté ?
  • De quelle manière l’objet exposé peut-il devenir source d’inspiration pour le lieu d’exposition ?

Des thématiques pour impulser :

  • Mon musée imaginaire ;
  • Découverte d’un nouveau monde ;
  • Collection inventée ; mutations ;
  • L'objet rare et son écrin ;
  • Protéger à tout prix ;
  • Boite à rêves.

Des dispositif d’apprentissage :

  • Utilisation d’objets divers,
  • Fabrication de « preuves » d’un autre pays,
  • Images d’éléments de diverses natures.

Un musée portatif

Principe : Réaliser un musée portatif dans une boîte (boite de ramettes de feuilles d’imprimante, boites à chaussures) ou un classeur.

Référence proposée : Marcel Duchamp (1887-1968). La Boîte-en-valise, 1936-1941.
« Tout ce que j'ai fait d'important pourrait tenir dans une petite valise » — Marcel Duchamp

Une œuvre emblématique de l’artiste reprenant des dessins et miniatures de ses œuvres célèbres pour, comme une mise en abîme, retracer l’histoire de sa vie d’artiste. Ces photographies, documents et fac-similés sont comme un inventaire quasi exhaustif (69 items) de ce qui a jalonné son œuvre toute entière. À l’instar d’un cabinet de curiosité, c’est ici la collecte et la mise en scène de celle-ci qui sera une situation problème pour l’élève autour d’une variété de modes d’expression, dessin, photos, mini-sculpture. Le réceptacle n’en est pas moins intéressant : dans un format réduit de 40 x 37,5 x 8,2 cm, l’artiste a su organiser différents espaces et déploiements du support pour une découverte toujours différente. Ce musée miniature sera reproduit à 312 exemplaires dont un se trouve dans les collections du Centre Pompidou.

Cette œuvre est l’occasion de faire travailler les élèves autour de la « compétence exposer » de manière individuelle et à partir de productions personnelles ou issues de l’Histoire des Arts.

L'objet banal

Principe : Travailler sur un seul objet, banal, du quotidien (brosse à dent, pince à linge, capsule de bouteille…) qui aurait traversé les âges et aurait appartenu à une illustre personne. Les compétences travaillées avec les élèves seront plasticiennes par un travail autour du vieillissement (couleur, formes, textures) de l’objet, et relèveront de la mise en scène en abordant la question de l’exposition et du statut de l’objet et de sa monstration.

Référence proposée : Exposition itinérante « Futur antérieur ».
Curiosus, cupidus, studiosus (« L'attention, le désir, la passion du savoir »). — Dictionnaire de Trévoux, 1771

Cette exposition nous projette 2000 en avant sur les traces de qui nous étions au travers des objets retrouvés qui prennent le statut d’objets archéologiques. Notre quotidien trouve un nouveau langage, une nouvelle histoire à raconter. Les pièces banales et ordinaires dont nous nous servons chaque jour deviennent objets précieux, témoins de nos vies, avec une touche de burlesque quand les hypothèses se trouvent éloignées de la réalité que nous connaissons. Cette exposition montre comment le travail des archéologues s’opère autour des sciences et de la culture.

Ce travail pourra par ailleurs prendre une direction transversale en associant d’autres disciplines (histoire, lettres, etc.)

La collection

Principe : Créer et fabriquer une collection à partir d’un matériau qui sera décliné et transformé en plusieurs exemplaires.

Il s’agira de montrer comment une collection peut fonctionner, entre éléments semblables mais tous différents. La création d’une collection peut ainsi démarrer d’un matériau brut (ficelle, polystyrène, morceaux de bois, cailloux, éléments de la nature ou manufacturés etc…) commun à tous les objets, qui sera transformé et décliné pour fabriquer plusieurs petites créations pour des variations à partir d’un même point de départ.

Référence proposée : André Breton (1896-1966) Mur de l'atelier, 1922-1966.
« Rien de ce qui nous entoure ne nous est objet, tout nous est sujet » — André Breton

Le mur de l’atelier d’André Breton est la reconstitution de son bureau qu’il occupait dans l’appartement de la rue Fontaine à Paris depuis 1922 jusqu’à sa mort en 1966. Collectionneur et grand amateur d’art, notamment extra-occidental, il regroupe un ensemble de 212 œuvres d’art et objets très hétéroclites et pourtant cohérent au regard de l’attrait pour le « pouvoir de l’objet » qui fascinait le poète.

Pour aller plus loin