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Extrait

Sub urbe

Paul Verlaine, Poëmes saturniens, 1866

Les petits ifs du cimetière
Frémissent au vent hiémal,
Dans la glaciale lumière.

Avec des bruits sourds qui font mal,
Les croix de bois des tombes neuves
Vibrent sur un ton anormal.

Silencieux comme des fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mères et les veuves

Par les détours du triste enclos
S’écoulent, ― lente théorie, 
Au rhythme heurté des sanglots.

Le sol sous les pieds glisse et crie,
Là-haut de grands nuages tors
S’échevèlent avec furie.

Pénétrant comme le remords,
Tombe un froid lourd qui vous écœure
Et qui doit filtrer chez les morts,

Chez les pauvres morts, à toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
 Qu’on les oublie ou qu’on les pleure ! 

Ah ! vienne vite le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants !

Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l’âpre hiver tient en détresse !

Et que, ― des levers aux couchants, 
L’or dilaté d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,

Chers endormis, vos sommeils mornes !

Paul Verlaine, Poëmes saturniens, Paris : Alphone Lemerre, 1866, p. 87-89.