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Extrait

Laurent

Émile Zola, Thérèse Raquin, Chapitre V, 1867.
Thérèse Raquin dépérit dans la boutique sombre et humide du passage du pont-neuf tandis que son mari Camille est employé aux chemins de fer. Un jour, celui-ci invite à dîner Laurent, un ancien ami qu'il a retrouvé par hasard au travail. Thérèse contemple sans un mot le physique vigoureux de Laurent, à l'opposé de son chétif cousin et mari.

Il [Laurent] se débarrassa de son chapeau et s'installa dans la boutique. Madame Raquin courut à ses casseroles. Thérèse, qui n'avait pas encore prononcé une parole, regardait le nouveau venu. Elle n'avait jamais vu un homme. Laurent, grand, fort, le visage frais, l'étonnait. Elle contemplait avec une sorte d'admiration son front bas, planté d'une rude chevelure noire, ses joues pleines, ses lèvres rouges, sa face régulière, d'une beauté sanguine. Elle arrêta un instant ses regards sur son cou ; ce cou était large et court, gras et puissant. Puis elle s'oublia à considérer les grosses mains qu'il tenait étalées sur ses genoux ; les doigts en étaient carrés ; le poing fermé devait être énorme et aurait pu assommer un bœuf. Laurent était un vrai fils de paysan, d'allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté. On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d'une chair épaisse et ferme. Et Thérèse l'examinait avec curiosité, allant de ses poings à sa face, éprouvant de petits frissons, lorsque ses yeux rencontraient son cou de taureau.

Émile Zola, Thérèse Raquin : Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1868