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Extrait

Le parc au gras

Herman Melville, Moby Dick, 1851

Le rebut, terme qui appartient au vocabulaire des seuls chasseurs de la baleine franche et se trouve incidemment utilisé par les pêcheurs de cachalots, est une substance sombre, glutineuse qui est raclée sur le dos de la baleine du Groenland et qui couvre les ponts des navires de ces âmes basses qui chassent ce léviathan ignoble. La canine. Ce mot n'est pas spécifique du vocabulaire des baleiniers. Pourtant, utilisé par eux, il le devient. La canine est une bande courte et ferme de tissus tendineux taillée dans la partie la plus étroite de la queue du léviathan ; elle a un pouce d'épaisseur et à peu près la dimension d'un fer de houe. Si l'on promène son tranchant sur le pont, elle fait office de balai de cuir et, grâce à un charme sans nom, comme par magie, elle amadoue toutes les saletés.

Mais pour tout apprendre sur ces mystérieuses questions, le mieux que vous puissiez faire est de descendre dans le parc au gras et de parler longuement avec ses hôtes. Nous l'avons déjà dit, c'est dans cette chambre que sont déposés les morceaux de l'enveloppe après le dépeçage. Lorsque le temps vient de les débiter, ce lieu devient un théâtre de terreur pour tous les novices, surtout de nuit ; d'un côté un espace faiblement éclairé d'un falot a été laissé libre pour les hommes qui doivent y peiner. Ils travaillent deux par deux en général, l'un armé d'une gaffe, l'autre d'une pelle. La gaffe est pareille à la pique d'abordage des frégates et porte d'ailleurs le même nom ; c'est une sorte de croc que le piqueur fiche dans une bande de lard, s'efforçant ensuite de l'empêcher de glisser tandis que le navire tangue et roule et que l'homme à la pelle, debout sur ce lard, le tranche en moellons. Cette pelle est aussi affûtée que possible, l'homme qui s'en sert est pieds-nus et la matière sur laquelle il se tient fuit parfois irrésistiblement, comme un traîneau. S'il coupe un doigt de son pied, ou de celui d'un de ses aides, peut-on s'en étonner ? Les doigts de pied sont rares parmi les vétérans du parc au gras.

Herman Melville, Moby Dick, tr. Henriette Guex-Rolle, Paris :Garnier-Flammarion, 1989, chapitre 94, p. 430-431.
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