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Extrait

Un beau ténébreux

Julien Gracq, Un beau ténébreux, Éditions José Corti, 1945
Julien Gracq est en captivité dans le camp d'Hoyerswerda, en Haute-Silésie, lorsqu'il écrit le prologue d'Un beau ténébreux. Des années plus tard, c'est à ces pages qu'il aime revenir lorsqu'il lui arrive de rouvrir le roman.

Il arrive que par certaines après-midi, grises, closes et sombrées sous un ciel désespérément immobile, – comme sous la maigre féerie des verrières d’un jardin d’hiver – dépouillées de l’épiderme changeant que leur fait le soleil et qui tant bien que mal les appareille à la vie, le sentiment de la toute-puissante réserve des choses monte en moi jusqu’à l’horreur. De même m’est-il arrivé de m’imaginer, la représentation finie, me glisser à minuit dans un théâtre vide, et surprendre de la salle obscure un décor pour la première fois refusant de se prêter au jeu. Des rues une nuit vides, un théâtre qu’on rouvre, une plage pour une saison abandonnée à la mer tissent d’aussi efficaces complots de silence, de bois et de pierre que cinq mille ans, et les secrets de l’Égypte, pour déchaîner les sortilèges autour d’une tombe ouverte. Mains distraites, porteuses de clés, manieuses de bagues, mains expertes aux bonnes pesées qui font jouer les pierres tombales, déplacent le chaton qui rend invisible, – je devins ce fantomatique voleur de momies lorsque, une brise légère soufflant de la mer et le bruit de la marée montante devenu soudain plus perceptible, le soleil enfin disparut derrière les brumes en cette après-midi du 8 octobre 19...

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