La haine de l’ennemi - 1

La Grande Guerre par les artistes
« De toutes les manifestations objectives par lesquelles se révèle la spécificité de la race allemande, la voracité est assurément la plus caractéristique. […] La voracité des Allemands étant inconciliable avec le choix raisonné des aliments les porte à préférer la quantité à la qualité. […] L’allemand ne se fait pas faute, à l’occasion, de manger du chien. » Dr. Bérillon, « La voracité de la race allemande » in Le Français, 15 novembre 1917.
Les lamentations d’une nation en guerre
Pour cette publication, de nombreux artistes ont été convoqués « avec leur verve, aiguisée par la cruauté des événements, leurs flèches dirigées d’une main sûre vers la "Kultur" colossale qui pèse encore de tout son poids sur la France avec ses stéréotypes : son organisation (la race allemande faite d’automates disciplinés), sa méthode, ses canons et ses gaz asphyxiants » (Préface de La Grande Guerre par les artistes de Gustave Geffroy). Il n’est pas difficile de comprendre cette image qui fait des villes attaquées du début de la guerre le symbole de la nation envahie, dont cette gueule vorace engloutit les ruines encore fumantes. Le 19 septembre 1914 les Allemands ont bombardé la cathédrale de Reims « par nécessité », car les militaires Français avaient installé des postes d’observation sur la tour. Ce bombardement a déchaîné la presse française, car il a touché au fondement de l’identité nationale : Clovis y a reçu le baptême et presque tous les rois de France y ont été sacrés. Est-il encore besoin de justifier la poursuite de la guerre ? Aussi l’ennemi dévoreur devra être lui-même dévoré. D’innombrables représentations d’Allemands en cochon à dévorer — pour l’annihiler symboliquement — apparaîtront dans les représentations.
Bibliothèque nationale de France
En France, durant la Grande Guerre, la haine de l’Allemand a été sans borne, caricaturale et assumée, car celui-ci a été perçu comme trahissant l’idée de progrès pour l’humanité bien ancrée dans la civilisation européenne.
Les guerres du passé ont toujours été une épreuve pour les populations civiles. Lors de la conférence européenne de La Haye en 1907, il a été clairement indiqué que celles-ci devaient être épargnées par la guerre. Aussi pouvait-on s’attendre à moins d’exactions envers les populations non combattantes. Or, durant les premières semaines de la guerre, les Allemands, les premiers, ne respectèrent ces conventions ni en Belgique, ni dans le nord de la France. Les atrocités commises ont ainsi nourri une réputation dont ils ne purent se défaire tout au long du conflit, même si la conduite des soldats alliés a elle aussi connu ses débordements. Il faut ajouter à cela que le souvenir des horreurs de la guerre de 1870 était encore très présent dans les esprits, avec son corollaire : la vengeance.
C’est dans ce contexte, et en application de l’Union sacrée, que la presse française a relayé avec zèle l’idéologie dominante selon laquelle il était bon de mettre en avant le côté démoniaque de l’adversaire et d’affirmer la position de victime de la France, pays envahi. Les innombrables détails des atrocités allemandes décrits dans les journaux ont certes monté les esprits contre le « boche », mais les officiels ont rapidement compris que cette prolifération de récits était néfaste pour le moral de la population et qu’il était nécessaire de surveiller l’information. En Allemagne, on considérait agir sous la menace des Alliés et on avait à coeur de rétablir la vérité. Manipulations et propagande, guerre des « cultures » pour mobiliser les opinions intérieures et rallier celles des pays neutres : avec l’amélioration des techniques de production et de diffusion des informations, la Première Guerre mondiale a bel et bien été la première guerre des médias.
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