Le centaure










Corps de cheval, torse d'homme : le centaure est un être à mi-chemin entre sauvagerie et civilisation. Puisant ses origines dans la mythologie gréco-romaine, il constitue un héritage dont les auteurs et les artistes du Moyen Âge s'emparent avec bonheur, réinterprétant les mythes ou inventant de nouvelles formes et de nouvelles histoires.
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Combat de centaures et de Griffons
Créatures hybrides, composées d’un buste d’homme sur un corps de cheval, les centaures formaient, selon les mythes grecs, une horde sauvage et cruelle qui habitait les montagnes de Thessalie (Nord de la Grèce). Ils étaient craints pour leur brutalité et se nourrissaient de chair crue. Ainsi aux noces de Pirithoos, roi des Lapithes, ils s’enivrèrent et s’emparèrent de sa jeune épouse ! Mais ils furent vaincus et chassés de Thessalie. Contée par Homère, la victoire des Lapithes sur les centaures symbolise le triomphe de la civilisation sur la barbarie.
Jean de Mandeville rapporte qu’en Bactriane (Asie centrale) « de nombreux centaures se tiennent tantôt sur terre, tantôt sur mer. Ils sont moitié homme moitié cheval et mangent les gens quand ils peuvent les prendre ». Mandeville emprunte son bestiaire à la pseudo Lettre d’Alexandre à Aristote sur les merveilles de l’Inde que l’on retrouve dans le Roman d’Alexandre ou dans le Miroir historial de Vincent de Beauvais.
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Bataille entre Grecs et Troyens : barbarie du centaure
« Ci devise la sisiesme bataille de Troie la grant et de ceus de Gresce et y avoit un sagittaire qui estoit moitié cheval et moitié homme. »
Dans Le Roman de Troie, version médiévale de l’épopée homérique, un centaure prête main forte aux Troyens. Après qu’on lui aie montré qui attaquer, le monstre s’élance, ivre de joie, poussant cris et rugissements qui frappent les Grecs de stupeur. L’écume jaillit de sa bouche, s’enflamme au contact de l’air. Il tue d’un trait par deux ou trois combattants, bientôt des centaines. Deux mille moururent ce jour-là ! Seul le valeureux Diomède pourra mettre fin au carnage. De son épée, il pourfend le centaure de part en part : la moitié humaine s’écroule sur place, la moitié bête court encore jusqu’à ce que les Grecs, reprenant confiance, l’abattent.
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La mort du centaure Nessos
« Comment Hercules emmena Deyanira et de Nemphus le centaure qui lui voult oster dont Hercules l’occist. »
Établi au bord d’une rivière, Nessos faisait office de passeur lorsqu’Hercule (Héraclès pour les Grecs) se présenta accompagné de Déjanire. Hercule traversa à la nage, confiant sa belle épouse au passeur qui tenta de lui ravir. Hercule perça le centaure d’une flèche mais avant de mourir Nessos offrit à Déjarine sa tunique ensanglantée, prétendant qu’elle agirait comme un philtre lui assurant la fidélité de son époux s’il la revêtait. Mais c’était un puissant poison : le vêtement s’attacha au corps d’Hercule, le déchirant en lambeaux chaque fois qu’il cherchait à l’ôter. Fou de douleur, le héros se jeta dans le feu de l’Etna.
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Phébus Esculape et Chiron
« Comment Saturne engendra Cyron demi homme et demi cheval et comment Cyron gouverna Esculapius »
Hospitalier et bienfaisant, Chiron se différenciait des autres centaures par sa nature divine (c’est un Titan, fils de Chronos) et sa grande sagesse. Initié aux vertus des plantes médicinales, il enseigna la médecine à de nombreux héros, dont Achille, Jason ou Héraclès (Hercule) qui devait l’atteindre accidentellement d’une flèche empoisonnée. Sans remède possible et à bout de souffrance, Chiron désira mourir. Pour cela, il devait céder son immortalité à quelqu’un, et choisit Prométhée qui, délivré du supplice de l’aigle, recouvre ainsi sa place parmi les Immortels. Zeus place Chiron dans le ciel où il formera la constellation du Sagittaire.
On voit ici Phébus ("le Brillant", c’est-à-dire Apollon) confiant son fils Asclépios (Esculape pour les Romains), futur dieu de la médecine, aux bons soins de Chiron, lequel ressemble davantage à un satyre qu’à un centaure !
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Décan du Sagittaire
Bien que Chiron ait renoncé à son immortalité, Zeus souhaita qu’il prit place au ciel, dans la constellation de l’Archer, pour y figurer le signe zodiacal du Sagittaire. Ainsi la période du 22 novembre au 20 décembre est-elle représentée par un centaure armé d’un arc et d’une flèche. Il sera appelé Sagittaire en référence aux sagittarii, nom des archers de l’armée romaine. Quant au terme « zodiaque », il dérive du grec zodiakos qui signifie « cercle des animaux ». Aux côtés de bêtes bien réelles (poisson, taureau, bélier, lion, scorpion, crabe pour le Cancer, chèvre pour le Capricorne) le Sagittaire est l’unique animal fabuleux du zodiaque.
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L’honocentors
Le centaure antique se trouve abâtardi dans les bestiaires médiévaux qui parlent d’onocentaure (moitié-homme moitié-âne). Pour les chrétiens, les hybrides mi-homme mi-animal incarnent la dualité de la nature humaine, et le centaure représente l’homme violent esclave de ses instincts. C’est une figure maléfique qui, associée à la sirène, « symbolise la fausseté et la perdition. Dans son Bestiaire, Pierre de Beauvais conclut que l’homme ressemble au Sagittaire car il a coeur double et double paroles », c’est-à-dire qu’il dit le bien par devant et le mal par derrière.
« Les onocentaures ont une moitié de corps humaine et l’autre moitié, à partir de la poitrine jusqu’en bas, est celle d’un âne. Ainsi en est-il de tout homme à l’âme partagée, fluctuant dans toutes ces démarches. Certains hommes se rendent dans l’Église avec les apparences de la piété, mais en reniant ce qui fait la force. Dans l’Église, ils sont comme des hommes, mais lorsqu’ils la quittent, ils se transforment en bêtes. » (Physiologus)
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Saint Antoine et le centaure
Quand saint Antoine erra parmi les déserts d’Égypte, s’enquérant de saint Paul, le premier ermite, pour le visiter, comme Dieu, par une sainte révélation, lui avait ordonné, il trouva en chemin un monstre très hideux, fait d’une terrible façon, moitié homme et moitié cheval, homme devant et bête derrière. Et comme saint Antoine ne comprenait pas son langage bestial, ce monstre le conduisit et lui indiqua son droit chemin par signes et par gestes, ce dont il loua longuement Dieu car ce monstre allait devant lui et, la main droite levée, lui montrait toujours le chemin. Après qu’il soit resté longuement avec lui, ce monstre le laissa et s’en alla en son repaire on ne sait où.
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Saint Antoine et le centaure
Parmi les pères de l’Église, saint Antoine est celui qui a appris aux hommes les pouvoirs de l’ascèse et de la solitude, séjournant longuement au coeur du désert égyptien, en 356 et en 366. Nul ne peut vivre dans le désert s’il n’est aidé par Dieu. La vision du centaure, figure éminemment païenne, fait partie des fameuses tentations de saint Antoine. Elle lui apparaît quand le soleil est à son zénith et s’évanouit, muette, après lui avoir indiqué son chemin de la main.
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L’ermite et le satyre en quête de Dieu
Isidore de Séville raconte qu’après le centaure, Antoine voit un satyre qui lui offre des dattes. Doué de parole, il nous renseigne sur le sens de la rencontre du saint avec ces hybrides : « Je suis un de ces démons que les paysans, déçus et aveuglés par diverses erreurs, ont coutume d’adorer par une ancienne idolâtrie. Ceux de ma condition m’envoient vers toi pour que tu pries pour nous le Dieu commun à tous, le Dieu des dieux dont tu est le loyal serviteur, car nous avons eu connaissance qu’il est venu en ce monde pour le salut de tous les hommes, en toutes terres est parvenue sa renommée, en tous lieux est entendue sa parole. »
Mandeville reprend à son compte la rencontre d’Antoine et du satyre : « Dans le désert d’Égypte, un saint ermite rencontra un monstre ressemblant à un homme avec deux grandes cornes tranchantes sur le front ; il avait un corps d’homme jusqu’au nombril et au-dessus le corps d’un chèvre. Le prud’homme lui demanda qui il était et le monstre lui répondit qu’il était une créature mortelle telle que Dieu l’avait créée et qu’il demeurait en ce désert en cherchant sa subsistance. Il pria l’ermite d’intercéder pour lui auprès de Dieu. »
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Saint Antoine et le centaure
Illustrant la rencontre d’Antoine et du centaure, l’enlumineur laisse ici libre cours à son imagination : il invente un nouvel hybride, mi cheval mi singe, qui fusionne la figure du centaure avec celle du satyre en lui donnant un aspect insolite et effrayant.
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