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Qu’est-ce que l’humanisme ?

Bibliothèque nationale de France
Politiæ literariæ… (De l’élégance de la culture...)
Membre du cercle humaniste de Leonello d’Este à Ferrare, Decembrio a rédigé son traité De politia literaria (« De l’élégance de la culture ») entre 1447 et 1463. Il y appelle à joindre à l’« élégance » de l’esprit l’élégance matérielle des livres et de la bibliothèque (libraria politia), où doit régner la beauté.
Imprimée en 1540 seulement, la première édition est illustrée sur la page de titre d’une gravure représentant l’auteur entouré des humanistes Guarino de Vérone, Maffeo Vegio, Leonardo Bruni, Poggio Bracciolini et Giovanni Gualengo.
Jean-Marc Chatelain
Bibliothèque nationale de France
Le terme « humanisme » est employé par les historiens pour désigner un mouvement culturel d’élite qui fut extrêmement influent en Europe à partir des 15e-16e siècles. Son principe directeur était l’aspiration à un renouveau de l’Antiquité, à travers la quête, l’étude et l’imitation des textes et des vestiges conservés. Né dans les milieux savants italiens du 14e siècle, particulièrement parmi des juristes et des notaires épris de poésie et d’histoire classiques, l’humanisme a connu un formidable essor au cours du 15e siècle, au point de devenir un modèle de pensée dominant : partagé par une vaste « république des lettres » il fut adopté de plus en plus largement par les aristocraties européennes au tournant des années 1500.

La Gloire sur un char distribuant des couronnes de laurier aux grands chefs de guerre
Le De viris illustribus comporte une suite de vingt-trois biographies consacrées aux hommes illustres qui ont contribué à la gloire de Rome, à l’exception d’Alexandre, de Pyrrhus et d’Hannibal. Commencée en 1338 et restée inachevée à la mort de Pétrarque (1374), l’œuvre fut continuée par Lombardo della Seta à la demande de Francesco Ier da Carrara (1325-1393), seigneur de Padoue, qui avait accueilli le poète à la fin de sa vie.
Ce luxueux exemplaire présente au-dessus de la table du contenu (f. Av) le portrait du poète en buste et de profil. Sobrement dessiné à l’encre et discrètement colorié d’une fine touche de rouge, ce portrait constitue l’effigie la plus ancienne et la plus fidèle qui ait été conservée du grand poète, réalisée par l’artiste véronais Altichiero, attesté pour la première fois à Padoue l’année de la réalisation de ce manuscrit.
Sur la page de droite (f. 1, ci-dessus), l’allégorie de la gloire dans un char distribuant des couronnes aux soldats, due au même artiste, dérive de la fresque peinte par Giotto en 1335 dans le palais d’Azzo Visconti à Milan, aujourd’hui disparue.
Gennaro Toscano
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
« Qui pourrait douter que Rome se relèvera sur-le-champ, si elle commence à se connaître ? » avait lancé François Pétrarque, auteur immensément admiré de son vivant et rapidement passé à la postérité comme le précurseur d’un réveil de la littérature. Les humanistes ont en effet associé à leur programme d’études un puissant et durable imaginaire historique, qui distinguait la « Renaissance » dont ils se voulaient les porteurs, du « Moyen Âge », intervalle millénaire d’oubli qui les avait précédé.
Pour un retour aux sources
Pour accomplir ce renouveau autoproclamé, il fallait avant toute chose puiser à la source, autrement dit retrouver la mémoire la plus authentique et exhaustive possible de l’Antiquité. Cela signifiait évacuer ses réinterprétations variées au cours des siècles précédents l’humanisme s’est opposé avec véhémence aux traditions savantes concurrentes – notamment à la scolastique universitaire, dont Aristote était l’autorité par excellence – et aux formes qu’avait pris cet héritage au fil du temps, comme le latin médiéval ou les réinventions légendaires des ruines romaines. De telles évolutions furent perçues comme le fruit de déformations barbares contre lesquelles il convenait d’adopter une approche centrée sur l’exactitude originelle des textes et des vestiges.

Leonardo Bruni, humaniste
Formé dans l’atelier de Jean Fouquet, Jean Bourdichon reçut la commande de la miniature frontispice des Histoires romaines de Jean Mansel destinées à l’historien Philippe de Commynes (1447-1511). Sous un dais tendu sur un textile orné de feuillages, rappelant que Bourdichon travailla beaucoup pour les décors éphémères, sont peints les portraits en médaillon de cinq historiens antiques (Tite-Live, Orose, Lucain, Salluste et Suétone) et d’un humaniste (Leonardo Bruni, en bas à droite), inspirés des médailles de la Renaissance italienne qui circulaient alors en Touraine. (Maxence Hermant)
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France

Le couronnement d’Hérodote par Apollon
La première page de texte de cette seule édition connue de la traduction par Lorenzo Valla des Histoires d’Hérodote revue par Antonio Mancinelli est ornée d’une spectaculaire bordure sur fond noir à décor de candélabres et de rinceaux intégrant deux cartouches historiés, le premier représentant un faune sacrifiant un bouc et le second une scène mythologique. Cet encadrement ainsi que le bois gravé figurant le couronnement d’Hérodote par Apollon ont été attribués à l’enlumineur et graveur Benedetto Bordon. Cet exemplaire est annoté par Egidio da Viterbo, membre des augustins ordonné cardinal par Léon X, humaniste féru de grec et d’hébreu.
Louise Amazan
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Une telle soif d’Antiquité cibla spécifiquement la connaissance de l’histoire, à travers l’étude non seulement des historiens grecs et romains (Plutarque fut ainsi très apprécié) mais aussi des traces matérielles. Les innombrables monuments, œuvres d’art, inscriptions qui avaient survécu au passage des siècles apparurent comme de précieux indices à recenser, collectionner, analyser au sein de recueils épigraphiques et de relevés de vestiges. Cet « antiquarianisme » alla de pair avec la montée en puissance d’une idéologie selon laquelle les ruines étaient des témoins essentiels de l’âge d’or perdu, destinés à être préservés et valorisés. En 1446 Biondo Flavio acheva une grande description de la ville de Rome dans l’Antiquité, la Roma instaurata, qu’il dédia au pape Sixte IV parce que, soulignait-il, « tu restaures et rebâtis à grands frais les monuments écroulés ou défigurés ».
Connaître et imiter l’Antiquité

Lorenzo Valla, Elegantiæ linguæ latinæ
Les studia humanitatis étaient moins une science des « lettres humaines » qu’une science humaine des lettres : celle des œuvres du langage, qui avait vocation à fonder tout l’ordre du savoir plutôt qu’à s’appliquer au seul domaine de la littérature au sens étroit et moderne du terme. De cette science universelle, Lorenzo Valla a offert un des monuments les plus remarquables avec les six livres de ses Élégances de la langue latine (Elegantiæ linguæ latinæ, 1435-1444), dont la préface proclame haut l’ambition de « rénover toutes les disciplines du savoir » (disciplinas omnes iri restitutum).
Chez Valla à Naples, aux générations suivantes chez son disciple Pomponio Leto à Rome, chez Ange Politien à Florence, chez Ermolao Barbaro à Venise, chez tant d’autres dans l’Italie du 15e siècle et bientôt au-delà des Alpes, la volonté de retrouver l’authenticité première des textes anciens, profanes ou sacrés, et de n’en aborder l’interprétation qu’après avoir soigneusement pesé le sens que donnait aux mots le contexte de leur emploi, conduisait à mettre en œuvre des savoirs inégalement techniques mais relevant tous de l’histoire, qu’elle fût celle de la langue et des styles, des institutions et des mœurs, ou bien encore des usages paléographiques.
Jean-Marc Chatelain
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
La dynamique intellectuelle créée par le mouvement humaniste a influé sur l’ensemble des champs du savoir. Ses répercussions dans la théologie chrétienne sont particulièrement notables. La connaissance des sagesses antiques a conduit à la recherche d’un syncrétisme universel, comme à Florence, où Marsile Ficin chercha à promouvoir la conciliation entre foi chrétienne et platonisme. L’étude philologique de la Bible et des textes des pères de l’Église a en outre appuyé l’aspiration à un retour aux sources évangéliques du catholicisme, pensé au premier chef par Érasme, auteur notamment d’une édition bilingue et corrigée du Nouveau Testament.

Nouveau Testament en grec et en latin
La publication de Bibles multilingues conjugue les avancées de l’imprimé aux nouvelles méthodes philologiques et illustre de façon spectaculaire l’étroit lien qu’entretient le milieu humaniste avec les ateliers d’imprimeurs.
À la demande de Johann Froben, Érasme s’attelle dès 1515 à la publication du Nouveau Testament en grec et latin. Présenté en deux colonnes, le livre met en regard le texte grec, imprimé pour la première fois, et la traduction latine revue par Érasme qui amende, clarifie et améliore la Vulgate attribuée à saint Jérôme, et en supprime au passage les scories déposées au fil du temps. Appliquant les principes de la méthode philologique au texte sacré, Érasme entend restituer à la parole sainte la pureté de ses origines, rejetant en fin de volume ses notes et commentaires ainsi qu’une paraphrase latine du texte biblique.
Louise Amazan
Bibliothèque nationale de France
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Buste de Marsile Ficin par Andrea Ferrucci
Le philosophe humaniste Marsile Ficin (1433-1499) est aussi une personnalité éminente de la vie politique et culturelle de la Florence des Médicis.
Photo © Stéphane Toussaint, 2024
Photo © Stéphane Toussaint, 2024
L’empreinte de l’humanisme fut également sensible dans le domaine du droit, avec la critique historique des sources juridiques promue par André Alciat, de la géographie, de l’astronomie, des mathématiques ou encore de la littérature vernaculaire. Les domaines de l’art (architecture, dessin, peinture, sculpture, art de la médaille, musique) en furent eux aussi transformés. La connaissance et l’imitation des idéaux et des vestiges classiques est devenue, autant pour les théoriciens que pour les praticiens, un principe capital et fécond. De la redécouverte du traité de Vitruve aux œuvres d’Andrea Palladio, l’histoire de l’architecture en fournit maints exemples.

Premier livre d’architecture de Vitruve
Ce manuscrit, réalisé vers 1540-1545, est l’exemplaire de présentation offert au roi par son auteur, du Premier livre d’architecture qui ne parut qu’en 1547 avec une dédicace à Henri II. Le statut royal du volume, qui porte aujourd’hui une banale reliure de parchemin tranchant avec la grande qualité de la mise en œuvre du corps d’ouvrage, est confirmé par les semés de fleurs de lis sur fond d’azur présents à l’arrière des lettres peintes. Les douze dessins, dont quatre en pleine page sont réalisés à l’encre noire et rehaussés d’un léger lavis mauve.
Également auteur d’une traduction en français du Songe de Poliphile de Francesco Colonna et d’une partie des œuvres d’architecture de Serlio, secrétaire de Maximilien Sforza puis du cardinal Charles de Lenoncourt, Jean Martin entreprit la traduction du De architectura de Vitruve qui parut à Paris en 1547.
Bibliothèque nationale de France
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Une culture à l’usage des gouvernants
Toutefois l’humanisme était loin d’être purement une affaire d’érudits et d’artistes de haute volée. Il s’adressait à l’ensemble des élites sociales, particulièrement aux hommes de pouvoir : il s’agissait, fondamentalement, de régénérer chez les gouvernants la grandeur intellectuelle et morale des hommes illustres de l’Antiquité.

Un traité d’éducation fondateur
Dès les premières décennies du 15e siècle, plusieurs humanistes, non plus des personnalités politiques mais des pédagogues, se montrèrent soucieux de bâtir un programme d’enseignement. Leurs efforts s’inscrivaient dans le sillage du traité fondateur de Pier Paolo Vergerio (1370-1444) « sur l’éducation libérale de la jeunesse », où trois matières privilégiées étaient clairement identifiées : la rhétorique, la philosophie morale et, servant à l’une comme à l’autre, l’histoire.
Rédigé à Padoue en 1402 ou 1403, ce traité est le plus ancien ouvrage d’une littérature pédagogique de la Renaissance dont l’abondance témoigne de la place essentielle de l’éducation dans le projet global de l’humanisme : restaurer l’héritage de l’Antiquité n’est pas seulement exhumer des textes et des œuvres, c’est aussi retrouver, dans un dialogue fécond avec le passé, leur valeur formatrice pour les hommes du temps présent – et c’est au fond ce que lire veut dire.
Jean-Marc Chatelain
Bibliothèque nationale de France
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Alphonse V d’Aragon, roi de Naples
L’humaniste vénitien Andrea Contrario fit sa carrière à la cour pontificale et auprès des rois aragonais. Dans ce traité qu’il dédie à Ferdinand Ier, il défend les théories de Platon, attaquées par le traducteur d’Aristote, Georges de Trébizonde. Le médaillon reproduit ici abrite le portrait de profil du roi de Naples Alphonse d’Aragon certi dans un riche encadrement à bianchi girari formant le fond d’une autre frise de médaillons et de losanges liés par des rubans.
Bartolomeo Varnucci fut l’un des premiers enlumineurs florentins à utiliser les bianchi girari pour orner les manuscrits d’auteurs classiques. L’un des artistes les plus prolifiques de la Florence des Médicis fut sans doute l’enlumineur Francesco di Antonio del Chierico, qui travailla lui aussi pour les plus importants bibliophiles du Quattrocento. Le décor à bianchi girari fut non seulement apprécié mais également imité dans les plus importants centres de production de manuscrits de la péninsule – notamment à Rome et à Naples grâce à l’activité de Gioacchino de Gigantibus – et trouva des émules parmi les artistes locaux, comme ici. Cette décoration fut si prisée qu’elle servit également à enrichir les livres imprimés.
Gennaro Toscano
Bibliothèque nationale de France
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À Milan, Mantoue, Ferrare, Florence, Rome, Urbino, Naples, les princes d’Italie avaient les premiers donné l’exemple et su en tirer profit, pour magnifier leur propre image de nouveaux « Mécène ». Avec Alphonse V d’Aragon, Leonello d’Este ou Frédéric de Montefeltre, la promesse d’une « renaissance » engagée par l’humanisme pénétra durablement la mise en scène des pouvoirs.

Liber de intellectu. Liber de sapiente…
Le thème de la dignité de l’homme occupe une place importante dans la pensée de Charles de Bovelles, disciple du théologien humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples et lecteur de Pic de la Mirandole. Son traité Du sage (Liber de sapiente), composé en 1509, est illustré d’un schéma représentant en miroir la supériorité de l’homme dans l’échelle de la nature et, dans l’échelle de l’humanité, la supériorité de « l’homme d’étude », fondée sur l’exercice de la raison.
Jean-Marc Chatelain
Bibliothèque nationale de France
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Provenance
Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.
Lien permanent
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