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L’Italie de la Renaissance : un pays, cinq États
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La figure du Prince dans l’Italie de la Renaissance
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L’économie italienne de la Renaissance : une période de crise ?
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La notion de Renaissance : un aperçu historiographique
La figure du Prince dans l’Italie de la Renaissance

Bibliothèque nationale de France
Portraits de Laurent le Magnifique et du pape Léon X
Le portrait de profil de Laurent de Médicis (1449-1492) est encadré d’une frise de perles, pierres précieuses, masques et ses emblèmes parmi lesquels se détache la série de bâtons écotés refleurissant (troncone). Dans la marge inférieure, les armes des Médicis – d’or à six tourteaux mis en orle, cinq de gueules, celui en chef d’azur chargé de trois fleurs de lys d’or – sont accrochées aux bâtons écotés et comportent trois plumes et un cartouche avec la devise SEMPER.
Le portrait du pape Léon X (1475-1521) est lui aussi entouré d’une frise avec les armes des Médicis dans la marge inférieure et la tiare papale posée sur les clés de saint Pierre dans celle supérieure. Provenant d’un livre d’heures destiné à la dévotion privée du pape, ces deux feuillets ont été enluminés par Giovanni Boccardi, dit Boccardino il Vecchio, qui a laissé ses initiales G. B. à droite et à gauche des armes des Médicis. Né à Florence vers 1460 et mort dans la même ville en 1529, Giovanni Boccardi peignit ce portrait pendant le pontificat de Léon X (1513-1521).
Gennaro Toscano
Bibliothèque nationale de France
Une définition complexe
Définir ce qu’est un « prince » est la première difficulté, d’autant que la notion est consubstantiellement liée au phénomène de la Renaissance et au livre éponyme de Machiavel, écrit en 1513 et dédié à Laurent II de Médicis. On peut en fait aborder la question sous deux angles complémentaires. D’un côté, le Prince appartient à une société politique, détenant tout ou partie d’un pouvoir souverain – la Renaissance est précisément la période où la réflexion sur la nature du prince et de son pouvoir évolue le plus radicalement. De l’autre, la figure du Prince est aussi indissociable d’un certain usage des arts, visant entre autres à exalter son pouvoir voire à l’asseoir plus fermement par sa magnificence.

Ferdinand de Gonzague, duc d’Ariano
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France

Galassio da Coreggio offre son Histoire d’Angleterre à Filippo Maria Visconti
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
« Modernité » et légitimité des Princes
L’Italie de la Renaissance est considérée aujourd’hui comme une terre de « laboratoires politiques » ; toutes les configurations institutionnelles s’y côtoient : république, principat, monarchie. Elle est aussi l’un des principaux berceaux de la science politique, d’une nouvelle forme d’administration de l’État, ainsi que le modèle européen du spectacle du pouvoir.

Étude pour une médaille d’Alphonse V d’Aragon
Daté de 1448, ce dessin est préparatoire, en sens inverse, de la médaille d’Alphonse V d’Aragon comportant à l’avers la devise divvs alphonsvs rex trivmphator et pacificvs et au revers liberalitas avgvsta, coulée l’année suivante. Divin comme un empereur romain, le profil est placé entre la couronne et le cimier surmonté d’une chauve-souris, allusion à l’acuité visuelle du souverain. Le griffon présentant les armes d’Aragon sur le cimier faisait partie des devises de l’ordre du Lys dont Alphonse était le grand maître. L’épaulière en forme de tête d’enfant trifons peut avoir une multiplicité de sens : Sainte Trinité, prudence ou philosophie.
Gennaro Toscano
© Grand-Palais-Rmn (musée du Louvre) / Michel Urtado
© Grand-Palais-Rmn (musée du Louvre) / Michel Urtado
Mais par définition, un tel pouvoir est fragile et la quête de légitimité est constante, du moins chez ceux dont l’assise politique n’est ni sacrée ni ancrée dans une durée immémoriale. Le besoin de légitimation des papes, des rois de Naples ou des ducs de Savoie, s’il est réel, est sans commune mesure avec celui des anciens vicaires impériaux ou pontificaux, qui doivent acheter un titre de marquis ou de duc comme Giangaleazzo Visconti en 1395, ou Gianfrancesco Gonzaga en 1433. Au 16e siècle, au sein des familles les plus récemment devenues souveraines comme les Médicis (anciens banquiers florentins) ou les Farnèse (anciens capitaines de l’Église) c’est la relation à la cité ou à son histoire qui est mise en avant.
Des écrits pour les Princes

Alphonse V d’Aragon, roi de Naples
L’humaniste vénitien Andrea Contrario fit sa carrière à la cour pontificale et auprès des rois aragonais. Dans ce traité qu’il dédie à Ferdinand Ier, il défend les théories de Platon, attaquées par le traducteur d’Aristote, Georges de Trébizonde. Le médaillon reproduit ici abrite le portrait de profil du roi de Naples Alphonse d’Aragon certi dans un riche encadrement à bianchi girari formant le fond d’une autre frise de médaillons et de losanges liés par des rubans.
Bartolomeo Varnucci fut l’un des premiers enlumineurs florentins à utiliser les bianchi girari pour orner les manuscrits d’auteurs classiques. L’un des artistes les plus prolifiques de la Florence des Médicis fut sans doute l’enlumineur Francesco di Antonio del Chierico, qui travailla lui aussi pour les plus importants bibliophiles du Quattrocento. Le décor à bianchi girari fut non seulement apprécié mais également imité dans les plus importants centres de production de manuscrits de la péninsule – notamment à Rome et à Naples grâce à l’activité de Gioacchino de Gigantibus – et trouva des émules parmi les artistes locaux, comme ici. Cette décoration fut si prisée qu’elle servit également à enrichir les livres imprimés.
Gennaro Toscano
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Nombreux sont les penseurs politiques qui, à partir des années 1470, écrivent pour les Princes et leurs courtisans, grands vainqueurs des évolutions institutionnelles de la péninsule. Issus de la double tradition des traités moraux destinés aux souverains (miroirs des princes), et des éloges florentins des hommes de vertu, ces ouvrages entendent tout d’abord concourir à l’éducation du Prince, condition nécessaire à l’accomplissement de son destin : apporter la paix et la sécurité à ses sujets. Au discours de la liberté qui s’était largement répandu à Florence et Venise au début du 15e siècle, se substitue en effet progressivement celui de la paix, et son corollaire, le discours d’ordre et d’obéissance.

Epistres des Princes de Girolamo Ruscelli
Cet ouvrage est la traduction française des Lettere di prinicipi, le quali o si scriuono da principi, o a principi, o ragionan di principi, libro primo, nuouamente mandato in luce da Girolamo Ruscelli publié à Venise, chez Giordano Ziletti en 1562.
© Centre d'Études Supérieures de la Renaissance Tours
© Centre d'Études Supérieures de la Renaissance Tours

Bibliothèque nationale de France
Depuis Le Prince de Giovanni Pontano, secrétaire de Ferdinand de Naples (1468) jusqu’au traité Le Prince de Bartolomeo Sacchi, dit « Platina », dédié au marquis de Mantoue en 1471, et même le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione (1513), tous ces textes rappellent les vertus dont doit être paré le Prince, à la fois propres au commun des mortels et plus élevées. Si les vertus chrétiennes sont rappelées (prudence, tempérance, vaillance, justice, piété, religiosité et foi) les vertus proprement princières (libéralité, magnificence, clémence, honneur, bonne foi, respect de la parole donnée) justifient le plus souvent la rédaction de ces nouveaux traités. Les arts figuratifs illustrent ces qualités au même titre que les traités : ainsi Piero della Francesca est-il chargé par Frédéric de Montefeltre, duc d’Urbino, de présenter ses qualités princières – et celles de sa défunte épouse – dans le Triomphe de la chasteté (v. 1472-1473).

Frédéric de Montefeltre et Battista Sforza
Le duc Frédéric da Montefeltro (1422-1482) « fut en son temps la lumière de l’Italie », déclarait Castiglione, et il le fut aussi par l’exercice exemplaire d’une fastueuse vertu de libéralité. Il construisit non seulement à Urbino un palais qui, d’un point de vue esthétique, était « selon l’opinion de beaucoup le plus beau que l’on trouve dans toute l’Italie », mais « il le fournit si bien de toutes choses utiles qu’il ne semblait pas être un palais mais une ville en forme de palais ; il l’emplit non seulement de ce dont on se sert ordinairement pour décorer les pièces, vases d’argent, riches draps d’or, de soie et d’autres choses semblables », mais il y ajouta « à titre d’ornement » une riche collection d’art ancien, musée domestique contenant « une infinité de statues anciennes de marbre et de bronze, de peintures très singulières, d’instruments de musique de toute sorte ». Très sélectif dans ses choix, « il n’y voulut aucune chose qui ne fût très rare et excellente ». Mais de manière significative, il poussa ses dépenses somptuaires à leur maximum pour « rassembler un grand nombre de très excellents et rares livres grecs, latins et hébreux, qu’il fit orner d’or et d’argent ». Il considérait que c’était là « la suprême excellence de son grand palais ».
Amedeo Quondam
Photo © SCALA, Florence, Dist. Grand-Palais-Rmn / image Scala
Photo © SCALA, Florence, Dist. Grand-Palais-Rmn / image Scala
Machiavel et Le Prince

Page de titre de L’Art de la guerre de Machiavel
Machiavel (1469-1527) analyse l’Italie de la Renaissance, où chaque ville possède son propre système politique, en fonction du prince au pouvoir. Dans Le Prince, l’un des essais politiques les plus connus, il traite de la raison d’État. Il commence par présenter les différents types de principautés, puis les diverses situations qui se présentent. Depuis cette œuvre, l’adjectif « machiavélique » est entré dans le vocabulaire français, et désigne une personne calculatrice, voire perfide, mais le livre expose en réalité des thèses beaucoup plus complexes.
De la guerre aux questions économiques et financières, tous les sujets sont traités, jusqu’à la question de la popularité du prince. Machiavel y avance l’idée que le prince doit avoir l’air humain, mais aussi se montrer inhumain si nécessaire. Il place ainsi la raison d’État au-dessus de la religion et de la morale. Cette idée que le bien de l’État l’emporte sur les autres valeurs reflète l’expression de l’esprit national italien de la Renaissance.
Rédigé dans des années d’écriture intense alors qu’il est retiré des affaires, en 1520-1520, L’Art de la guerre est le seul ouvrage politique de l’auteur à avoir été publié de son vivant. Il se présente sous la forme d’un dialogue entre cinq personnages : l’hôte Cosimo Rucellai, trois jeune Florentins et un condottière aguerri, Fabrizio Colonna. Poursuivant les réflexions présentes dans Le Prince et Les Discours, l’ouvrage mêle considérations tactiques et réflexion politique.
Bibliothèque nationale de France
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Le Prince de Nicolas Machiavel
Le Prince est l’un des essais politiques les plus connus. Il traite de la raison d’État. On le doit à Nicolas Machiavel (Niccolò Machiavelli) (1469-1527). Depuis cette œuvre, l’adjectif “machiavélique” est entré dans le vocabulaire français, et désigne une personne calculatrice, voire perfide, mais le livre expose en réalité des thèses beaucoup plus complexes.
Machiavel analyse l’Italie de la Renaissance, où chaque ville possède son propre système politique, en fonction du prince au pouvoir. Il commence par présenter les différents types de principautés, puis les diverses situations qui se présentent.
De la guerre aux questions économiques et financières, tous les sujets sont traités, jusqu’à la question de la popularité du prince. Machiavel y avance l’idée que le prince doit avoir l’air humain, mais aussi se montrer inhumain si nécessaire. Il place ainsi la raison d’État au-dessus de la religion et de la morale. Cette idée que le bien de l’État l’emporte sur les autres valeurs reflète l’expression de l’esprit national italien de la Renaissance.
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Le Prince, rédigé par Machiavel en 1513 et publié après sa mort en 1532, pose une définition relativement inédite du pouvoir princier en tournant le dos au genre des miroirs médiévaux. Le Florentin y dresse le portrait d’un nouveau type de gouvernant dont l’objectif principal est de se maintenir au pouvoir, à la tête de ses États. Face à la Fortune et à la Nécessité, il doit faire preuve de virtù, mélange de lucidité, d’énergie et de ruse, et donc ne pas s’en tenir aux lois de la morale ordinaire, la morale chrétienne, quitte à parfois user de la violence. Le septième chapitre, qui présente le destin de César Borgia érigé en modèle, sanctionne l’ampleur de la rupture. Si le Prince doit conserver l’apparence des qualités traditionnelles, il doit aussi pouvoir y renoncer dans la conduite de son gouvernement si les contingences l’y contraignent (par des assassinats politiques, des châtiments publics, par la peur comme moyen de maintenir son peuple dans la soumission...) tout en prenant garde à ne pas devenir lui-même l’objet du tyrannicide. La pensée de Machiavel sécularise la politique, la concevant en dehors de la volonté divine et lui substituant la nécessité humaine : la fin justifie les moyens...
Figure incontournable de la politique, de l’art et de la pensée de la Renaissance, le Prince voit donc son statut et ses fonctions évoluer entre 15e et 16e siècles. Incarné par des figures fortes, qui créent des dynasties durables, il se doit d’agir en gouvernant sage et présent sur tous les plans.
Provenance
Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.
Lien permanent
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