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Voyages marchands et compagnies des Indes

© Bibliothèque nationale de France
Masulipatam
À Masulipatam, sur la côte de Coromandel, en Inde, cohabitaient trois loges marchandes signalées ici par les lettres A, B et C, correspondant aux pavillons français, anglais et hollandais.
© Bibliothèque nationale de France
Un commerce nautique dominé par la traite négrière
Du côté des Indes occidentales, le grand trafic dans l’Atlantique, inauguré par les Portugais, restait le tristement célèbre commerce triangulaire, qui reliait l’Europe, l’Afrique de l’ouest et l’Amérique. Douze à quinze millions d’esclaves noirs, échangés sur la côte africaine contre de la pacotille furent transportés en Amérique au terme d’une abominable traversée (la mortalité était de dix pour cent). Ils étaient revendus contre un peu d’argent en lingots, des lettres de change, mais surtout des produits tropicaux. Au 18e siècle, la France, très demandeuse de main d’œuvre pour ses îles à sucre des Antilles, dépassa de loin les Pays-Bas et devint, derrière l’Angleterre, la deuxième nation pour le commerce de ce bois d’ébène.

Côte d’Afrique depuis le cap Blanc jusqu’à la Gambie
Les cartes évoquant la traite des Noirs sont pratiquement inexistantes. Nous voyons ici, mouillés sur la côte sénégalaise, un navire français, au pavillon blanc, et un navire hollandais, au pavillon tricolore.
© Bibliothèque nationale de France
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Sur ces voyages devenus ordinaires et routiniers, effectués sur des navires de commerce à peine aménagés pour la circonstance, la cartographie se montra extrêmement discrète. Elle ne laissa aucun témoignage, ni des routes, ni des lieux de traite, les unes étant sans doute trop « classiques » et les autres trop secrets. Plutôt que des hommes traqués et enchaînés, les cartouches des cartes d’Afrique nous montrent des Noirs idéalisés, conversant librement avec les Européens ou prêts à chasser, à l’arc et au javelot, une pléthore d’animaux sauvages. Les cartes contribuèrent en revanche à l’appropriatition et au partage des terres coloniales.
La mainmise de la compagnie des Indes britanniques
De véritables multinationales
C’est dans les mers des Indes que la marine marchande du 18e siècle connut sa période glorieuse et contribua au triomphe des Britanniques. Après avoir livré une lutte impitoyable à la France entre 1735 et 1763, ces derniers occupèrent en effet petit à petit, de 1763 à 1800, toutes les Indes. Nous avons vu précédemment comment les Européens, à la suite de Vasco de Gama et grâce à la supériorité de leurs vaisseaux et de leurs armes, avaient acquis la maîtrise des mers d’Orient à des fins purement commerciales. Jusqu’à la conquête anglaise, leur occupation, à l’exception de Batavia par les Hollandais, de l’île Bourbon et de l’île de France par les Français, resta très ponctuelle, fragile même, à la différence des colonies de peuplement d’Amérique.
Le tournant du siècle, entre 1662 et 1725, fut l’époque des comptoirs. Les comptoirs des Indes, ou leurs embryons minuscules qu’étaient les loges et les factoreries, se limitaient souvent à quelques bâtiments où les marchands européens vivaient comme séquestrés. Il ne s’agissait donc ni d’occupation, ni de colonisation. Signe révélateur, aucune cartographie d’envergure ne fut entreprise par ces Occidentaux en transit qui semblaient s’intéresser aussi peu à leur environnement que les touristes de certains clubs de vacances aujourd’hui. Ils étaient cependant les têtes de pont du capitalisme le plus avancé d’Occident. Les grandes compagnies des Indes qu’ils représentaient étaient déjà des multinationales, « un État dans l’État, ou hors de l’État », aux profits considérables.

Pont construit à l’île Bourbon
Ce pont fut construit à la Réunion en 1738 alors que Mahé de La Bourdonnais était gouverneur des deux « îles françaises », l’île de France et l’île Bourbon.
© Bibliothèque nationale de France
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Îles Seychelle, Praslin et Silhouette
Ayant reçu en 1756 le nom du contrôleur des finances Moreau de Séchelles, les îles des Seychelles furent colonisées par les créoles de Bourbon avant de passer sous domination anglaise en 1810.
© Bibliothèque nationale de France
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Les liaisons maritimes, suivant des routes désormais bien établies, étaient régulières, mais très lentes. Un voyage en Amérique durait normalement huit semaines, d’ouest en est, mais il fallait compter, pour le voyage aux Indes orientales, de dix-huit mois à deux ans, si tout allait bien. La vie d’un bateau appartenant à l’une des Compagnies des Indes se limitait par conséquent à quatre voyages, en général répartis sur douze ou quinze ans. Nous avons vu par ailleurs combien la mort et la maladie restaient les réalités cruelles de ces voyages au long cours. Les naufrages n’étaient pas rares non plus et, pour limiter les risques, les navires conservèrent, jusqu’au 19e siècle, des dimensions restreintes. Les élégants « clippers » anglais, chargés de thé chinois, dépassaient rarement 1 000 tonneaux, de même que les « indiamen » ventrus de l’East India Company.
La flotte marchande anglaise devint la principale actrice de ce commerce. Entre 1748 et 1786 environ, elle doubla presque de volume et, vers 1788, elle dépassait le million de tonnes. Une partie de ses navires, construits aux Indes et armés d’équipages indiens, se livraient uniquement au commerce local et ne venaient jamais en Europe. Ceux qui furent appelés à la rescousse pour défendre l’Angleterre contre la France révolutionnaire, en 1794, causèrent un tel émoi à Londres qu’ils durent repartir aussitôt : les Anglais n’acceptaient pas de se reconnaître en eux. À la même époque, la flotte française était évaluée à environ 5 000 bateaux pour un tonnage de 700 000 tonnes. Réunies, les flottes marchandes des deux rivales représentaient presque la moitié du tonnage de toute l’Europe.
Des bureaux hydrographiques plus efficaces que les services officiels
Les Compagnies des Indes, l’anglaise comme la française, avaient constitué, sur le modèle de leurs prédécesseurs hollandais, des bureaux hydrographiques efficaces à rendre jaloux les services officiels. À la tête de ces offices, des cartographes expérimentés qui devinrent aussi des personnalités du monde scientifique. En France, l’hydrographe de la Compagnie des Indes, Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette (1707-1780), fut le premier Français à utiliser l’octant découvert par l’Anglais J. Hadley, qui n’avait encore été employé que par les marins anglais. Il contribua à la diffusion de cet appareil en France. Il fut également l’un des membres fondateurs de l’Académie de marine (1752), qui compensait l’inefficacité du Dépôt en dépouillant, elle aussi, les correspondances et les journaux de bord des navigateurs. À l’aide de sa documentation personnelle et de son expérience de navigateur, il avait publié en 1745 un atlas de la mer des Indes, intitulé le Neptune oriental, d’une précision inégalée, dont le Dépôt de la marine fut heureux de racheter les planches de cuivre après sa mort. À la disparition de la compagnie, en 1769-1771, toutes ses cartes seront du reste récupérées par l’État au profit de la « Royale ».

Madras
Madras était le plus beau comptoir anglais de l’Inde. La conquête de ce « Londres indien » en 1746 fut la cause d’un grave désaccord entre Dupleix et La Bourdonnais.
© Bibliothèque nationale de France
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Plan de Port-Louis et Lorient
Lorient vit son plan tracé, en 1670, par la Compagnie française des Indes qui y établit le centre de ses armements et l’appela « l’Orient ». Elle était située non loin de Port-Louis, créé antérieurement et ainsi nommé en l’honneur de Louis XIII.
© Bibliothèque nationale de France
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En Angleterre, même schéma : Alexander Dalrymple, géographe et hydrographe de l’East India Company depuis 1779, fut nommé par l’amirauté, « Hydrographer to the Navy » en 1795. Dalrymple est resté célèbre pour sa recherche obsessionnelle du continent austral auquel il fut un des derniers à croire. Il avait réuni des centaines de cartes marines des Indes orientales, de l’Extrême-Orient et des mers australes pour en percer le secret.
Les déboires de la Compagnie française des Indes
En France, le port de l’Orient, notre Lorient, était depuis le 17e siècle le centre des armements de la Compagnie des Indes. Son plan avait été tracé en 1670 à cet effet, mais c’est surtout au 18e siècle qu’il devint florissant. Bernardin de Saint-Pierre qui vint s’y embarquer en 1768 pour l’île de France (l’île Maurice) raconte : « Le bruit des charpentiers, le tintamarre des calfats, l’affluence des étrangers, le mouvement perpétuel des chaloupes en rade, inspirent je ne sais quelle ivresse maritime... Vous croiriez être à mille lieues de Paris... Les honnêtes gens s’entretiennent de l’île de France et de Pondichéry comme s’ils étaient dans le voisinage. »
Les affaires de la Compagnie allèrent cependant en périclitant. La position défavorable de Lorient ne lui permit jamais de concurrencer Londres ou Amsterdam. Dans l’océan Indien, la base navale de l’île Bourbon (la Réunion) était trop éloignée de ses établissements des Indes et, de l’avis des spécialistes, le crédit dont la France disposait était très insuffisant. La compagnie française souffrit également d’une tutelle trop pesante de l’État alors que l’East India Company s’administrait elle-même. Ses privilèges furent supprimés en 1769 et le commerce au-delà du Cap ouvert à tous. Après quelques résurgences avortées, elle cessa toute activité en 1794, mais ses comptes ne furent définitivement liquidés qu’en 1875, tant le dossier était compliqué.
Les déboires de la Compagnie des Indes reflétaient la déconfiture coloniale de la France au milieu du 18e siècle. Au traité de Paris, en 1763, rappelons-le, la France abandonnait le Canada, la Louisiane occidentale et l’Inde. Elle conservait Saint-Domingue, les Mascareignes (îles Maurice et de la Réunion) et le droit de pêche à Terre-Neuve ; elle récupérait Saint-Pierre-et-Miquelon, l’îlot de Gorée au Sénégal, la Guadeloupe, la Martinique et Sainte-Lucie aux Antilles ; et conservait les fameux comptoirs de l’Inde, Yanaon et Chandernagor au Bengale, Pondichéry et Karikal sur la côte de Coromandel et Mahé sur la côte de Malabar, à condition de ne pas les fortifier.
Les colonies, même réduites à 36 000 kilomètres carrés, étaient intégrées au patrimoine culturel des Français. Les cartes, en vente dans toutes les bonnes librairies, nourrissaient leurs rêves et leur réflexion. Ainsi constatons-nous que l’ouvrage fameux de l’abbé Raynal, l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dnas les deux Indes (1770) était accompagné d’un atlas très complet, confectionné par un hydrographe du Dépôt de la marine, Rigobert Bonne. Sous le couvert d’une histoire des explorations, Raynal dénonçait parfois violemment l’esclavage et l’exploitation des colonies par les métropoles.
Le livre fut interdit, Raynal s’exila, mais l’atlas resta. Son auteur avait vu large et décrit le monde dans son ensemble car dit-il modestement, « comme un ouvrage philosophique offre un fond inépuisable de réflexions, on présente à chacun le faible secours de quelques détails géographiques, avec une honnête abondance, sans superflu, mais qui a paru préférable à l’étroit nécessaire ».

Centaurée, tubéreuse, jasmin de Virginie et safran bâtard en bas
Jean de Nassau, collectionneur accompli, créa au milieu du 17e siècle un jardin où se mêlaient espèces végétales rares, grottes décorées de coquillages, fontaines et massifs de fleurs en forme de légumes et de fruits. Il voulut ensuite pérenniser le souvenir de ce jardin merveilleux et engagea pour ce faire le peintre strasbourgeois Johann Walter. C’est ainsi que le Florilège vit le jour. D’une remarquable qualité artistique, il contient trente planches de fleurs et de douze planches de fruits des plus originales.
Cette planche représente la variété américaine du Jasmin de Virginie à clochettes rouges (plus connus sous le nom de bignone) introduite en Europe à partir de 1640. Les autres plantes herbacées sont les centaurées sauvages (mauve), les colchiques et au centre, la jacinthe des Indes également du continent américain. Comme pour les nouvelles espèces animales, les Européens s’inspirent des noms courants qu’ils réemploient avec des compléments géographiques : Virginie dans le cas du jasmin ; indes (occidentales) pour la jacinthe.
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