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Le pont d’Arcole

Le pont d’Arcole
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D’abord, au premier plan, au-dessous d’eux, c’était le port Saint-Nicolas, les cabines basses des bureaux de la navigation, la grande berge pavée qui descend, encombrée de tas de sable, de tonneaux et de sacs, bordée d’une file de péniches encore pleines, où grouillait un peuple de débardeurs, que dominait le bras gigantesque d’une grue de fonte ; tandis que, de l’autre côté de l’eau, un bain froid, égayé par les éclats des derniers baigneurs de la saison, laissait flotter au vent les drapeaux de toile grise qui lui servaient de toiture. Puis, au milieu, la Seine vide montait, verdâtre, avec des petits flots dansants, fouettée de blanc, de bleu et de rose. Et le pont des Arts établissait un second plan, très haut sur ses charpentes de fer, d’une légèreté de dentelle noire, animé du perpétuel va-et-vient des piétons, une chevauchée de fourmis, sur la mince ligne de son tablier. En dessous, la Seine continuait, au loin ; on voyait les vieilles arches du Pont-Neuf, bruni de la rouille des pierres ; une trouée s’ouvrait à gauche, jusqu’à l’île Saint-Louis, une fuite de miroir d’un raccourci aveuglant ; et l’autre bras tournait court, l’écluse de la Monnaie semblait boucher la vue de sa barre d’écume. Le long du Pont-Neuf, de grands omnibus jaunes, des tapissières bariolées défilaient avec une régularité mécanique de jouets d’enfants. Tout le fond s’encadrait là, dans les perspectives des deux rives : sur la rive droite, les maisons des quais, à demi cachées par un bouquet de grands arbres, d’où émergeaient à l’horizon, une encoignure de l’Hôtel de ville et le clocher carré de Saint-Gervais, perdus dans une confusion de faubourg ; sur la rive gauche, une aile de l’Institut, la façade plate de la Monnaie, des arbres encore, en enfilade. Mais ce qui tenait le centre de l’immense tableau, ce qui montait du fleuve, se haussait, occupait le ciel, c’était la Cité, cette proue de l’antique vaisseau, éternellement dorée par le couchant. En bas, les peupliers du terre-plein verdissaient en une masse puissante, cachant la statue. Plus haut, le soleil opposait les deux faces, éteignant dans l’ombre les maisons grises du quai de l’Horloge, éclairant d’une flambée les maisons vermeilles du quai des Orfèvres, des files de maisons irrégulières, si nettes, que l’œil en distinguait les moindres détails, les boutiques, les enseignes, jusqu’aux rideaux des fenêtres. Plus haut, parmi la dentelure des cheminées, derrière l’échiquier oblique des petits toits, les poivrières du Palais et les combles de la Préfecture étendaient des nappes d’ardoises, coupées d’une colossale affiche bleue, peinte sur un mur, dont les lettres géantes, vues de tout Paris, étaient comme l’efflorescence de la fièvre moderne au front de la ville. Plus haut, plus haut encore, par-dessus les tours jumelles de Notre-Dame, d’un ton de vieil or, deux flèches s’élançaient, en arrière la flèche de la cathédrale, sur la gauche la flèche de la Sainte-Chapelle, d’une élégance si fine, qu’elles semblaient frémir à la brise, hautaine mâture du vaisseau séculaire, plongeant dans la clarté, en plein ciel.
Viens-tu, mon ami ?  " répéta Christine doucement.
Claude ne l’écoutait toujours pas, ce cœur de Paris l’avait pris tout entier. La belle soirée élargissait l’horizon. C’étaient des lumières vives, des ombres franches, une gaieté dans la précision des détails, une transparence de l’air vibrante d’allégresse. Et la vie de la rivière, l’activité des quais, cette humanité dont le flot débouchait des rues, roulait sur les ponts, venait de tous les bords de l’immense cuve, fumait là en une onde visible, en un frisson qui tremblait dans le soleil. Un vent léger soufflait, un vol de petits nuages roses traversait très haut l’azur pâlissant, tandis qu’on entendait une palpitation énorme et lente, cette âme de Paris épandue autour de son berceau."
L’œuvre, extrait du chapitre 8

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1848
  • Auteur(es)
    Gaspard Gobaut
  • Description technique
    Aquarelle et rehauts de gouache
  • Provenance

    BnF, Estampes et Photographie (Rés. Ve-53 h-fol)

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm114200358w