Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Le Grand Siècle : un moment d’austérité pour le livre ?

L’imprimerie en taille-douce
L’imprimerie en taille-douce

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Si le contexte est globalement défavorable, il faut néanmoins se rendre à l’évidence : l’offre d’imprimés ne cesse de s’accroître au cours du 17e siècle.
On voit se multiplier et devenir de plus en plus courants, en ville surtout, non seulement les livres, mais aussi ce que les historiens de l’écrit appellent les imprimés « non-livres ». À savoir en particulier les premiers périodiques mais également les affiches, les faire-part, les avis publicitaires, les formulaires, etc. Autant de supports qui accompagnent manifestement l’expansion de la « raison graphique ».

Faiblesse des innovations technologiques

Le « Grand Siècle » est, de fait, un siècle de pause sur le plan des techniques et de l’organisation de l’atelier d’imprimerie.

En matière d’imprimerie, aucune innovation technologique importante n’intervient en effet au 17e siècle. L’impression repose sur un matériel et des principes inchangés par rapport au 16e siècle :

  • l’usage de la presse à bras de Gutenberg, qui n’a reçu que des perfectionnements mineurs à la fin du 15e et au début du 16e siècle ;
  • l’emploi d’un papier dit « de chiffon » dont la matière première est obtenue à partir de résidus textiles ;
  • une encre fabriquée suivant des recettes artisanales au sein de chaque atelier ;
  • enfin, des caractères métalliques mobiles, tels qu’ils ont été mis au point à l’époque de Gutenberg et perfectionnés à la fin du 15e et au début du 16siècle.

De ce fait, l’organisation du travail et la répartition entre la « casse » (compositeurs typographes) et la « presse » (ouvriers pressiers) demeurent identiques elles aussi.
Seule la taille même des ateliers a tendance à croître dans la seconde moitié du 17e siècle sous l’effet des mesures de contingentement du nombre d’imprimeries.
En outre, par rapport à bien des ouvrages produits à l’époque de la Renaissance, au 17e siècle la qualité et l’esthétique même du livre semblent en retrait.

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de gens de lettres
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de gens de lettres |

© Bibliothèque nationale de France

La dégradation du produit papetier

La qualité dégradée du papier offre une première explication de poids au recul qualitatif de l'ensemble de la production imprimée. Et ce notamment en France, premier pays producteur de papier en Europe, où l’on compte déjà à l’époque pas moins de 400 moulins à papier.

L’étendage du papier
L’étendage du papier |

© Bibliothèque nationale de France

À partir des années 1633-1635 une surfiscalisation frappe la production papetière. Le cardinal de Richelieu a en effet imaginé de taxer lourdement le papier afin de contribuer au financement de l’entrée de la France dans la guerre de Trente Ans. Or le papier, à l’époque artisanale, représente 40 à 50 % du prix de revient d’un livre. Pour éviter d’avoir à augmenter le prix des publications et de perdre des clients, libraires et imprimeurs vont donc préférer rogner sur la qualité de leurs achats de papier. Cette qualité va rester généralement médiocre (sauf pour les ouvrages de prestige) pendant la majeure partie du 17e siècle, en gros jusqu’aux années 1690, à Paris et plus encore en province. Le papier français, entre 1635 et les années 1690, est souvent grenu, semé d’impuretés et parfois même pelucheux, ce qui entraîne un encrage inégal et une impression de négligence plus ou moins accusée.

L'austérité des formats

L’imprimerie en taille-douce
L’imprimerie en taille-douce |

Bibliothèque nationale de France

Au début du 17e siècle, on assiste à la généralisation d’une technique d’illustration plus coûteuse et plus exigeante que la gravure sur bois en taille d’épargne : à savoir la gravure sur cuivre ou taille-douce.
La gravure sur cuivre nécessite l’emploi d’une presse distincte de la presse typographique, la presse en taille-douce. Cette innovation, qui représente une évidente plus-value qualitative, va, comme paradoxalement, aboutir à une raréfaction de l’image dans la plupart des livres. C’est de cette époque particulièrement que date ce que l’on a coutume d’appeler le « divorce du texte et de l’image ». De fait, si l’on excepte les livres et livrets de colportage – qui vont continuer à utiliser les mêmes bois gravés – et certains livres pratiques ou scientifiques présentant figures et schémas dans le texte, l’image se trouve réduite au 17e siècle à un frontispice ou à un portrait d’auteur gravé sur cuivre.

Plat supérieur de la reliure de parchemin
Plat supérieur de la reliure de parchemin |

© Bibliothèque nationale de France

En ce qui concerne la typographie française, aucune innovation notable n’est à signaler non plus. On assiste au 17e siècle à une unification, voire à une uniformisation, autour des caractères dits de Garamont, mis au point par Claude Garamont vers 1530-1550.

La seule véritable création en matière typographique, en France, correspond aux Romains du Roi conçus pour l’Imprimerie royale vers 1690 et qui ne connaîtront pratiquement aucune diffusion en dehors de l’Imprimerie royale elle-même. L’originalité dans le domaine typographique vient plutôt des Pays-Bas, avec l’encre, les ornements et les caractères conçus pour les imprimeurs hollandais Elzevier dans les années 1630-1640.
Le matériel elzévirien représente à l’époque le nec plus ultra en Europe, et plusieurs imprimeurs belges et français vont s’efforcer d’imiter ce modèle pour leurs travaux les plus prestigieux.

Dans le domaine de la reliure, la modestie et l’uniformité sont généralement de mise, avec des couvrures solides en simple parchemin souple, très répandues, ou en veau brun (dont le plus souvent seul le dos est décoré).
Le timide développement de la reliure d’édition à l’extrême fin du siècle va contribuer à accentuer ce phénomène de nivellement.

Un tournant en matière de « mise en texte »

Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie...
Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie... |

© Bibliothèque nationale de France

L’innovation, en France et dans le domaine francophone, est à rechercher du côté de la mise en page et de ce que les historiens du livre appellent plus généralement la « mise en texte ».
Avec l’introduction de plus en plus systématique des alinéas et des paragraphes – même si certains exemples peuvent être relevés dès le 16e –, les livres du 17e siècle bénéficient d’un texte souvent plus aéré, moins compact. Ils commencent autrement dit à adopter une présentation qui s’efforce de mieux souligner les articulations de la pensée.
En la matière, il n’est pas très surprenant que le philosophe René Descartes ait été pionnier. On sait qu'il est en effet intervenu personnellement pour que la présentation typographique de son œuvre souligne au mieux la structuration de son propos. Témoin privilégié de ses innovations : l’un des livres les plus célèbres du 17e siècle, le Discours de la méthode, premier ouvrage de philosophie en langue française, que Descartes, séjournant aux Provinces-Unies depuis 1629, fait imprimer à Leyde en 1637 par un imprimeur-libraire francophone.
D’une façon générale, toutefois, le Grand Siècle ne brille ni par la qualité globale de ses productions ni par des innovations majeures sur les plans technique et esthétique.

Une conjoncture apparemment défavorable

Recueil des Gazettes de l’année 1631
Recueil des Gazettes de l’année 1631 |

© Bibliothèque nationale de France

Si l’on se tourne vers la conjoncture générale, on s’aperçoit qu’elle n’est guère brillante non plus dans la majeure partie de l’Europe.
Le 17e siècle est marqué par des cycles d’épidémies, de disettes et de pénuries. Dans les décennies 1690 et 1700, les années dites « de misère » de la fin du règne de Louis XIV, sévit aussi ce qu'Emmanuel Le Roy Ladurie (Histoire humaine et comparée du climat, Fayard, t. 1, Canicules et glaciers 13e-18e siècles, 2004) a appelé le « petit âge glaciaire », avec son lot de mauvaises récoltes et de surmortalité. On déplore également des conflits religieux et des guerres à répétition – l’un des points culminants se situant lors de la fameuse guerre de Trente Ans (1618-1648), qui dévaste toute une partie de l’Europe, l’Allemagne, la Bohême et la Lorraine notamment. Enfin, la dépression ou la stagnation économique règnent pendant une grande partie du siècle.

Accroissement et diversification de la production imprimée

Si le contexte est globalement défavorable, il faut néanmoins se rendre à l’évidence : l’offre d’imprimés ne cesse de s’accroître au cours du 17e siècle. On voit se multiplier et devenir de plus en plus courants, en ville surtout, non seulement les livres, mais aussi ce que les historiens de l’écrit appellent les imprimés « non-livres ». À savoir en particulier les premiers périodiques mais également les affiches, les faire-part, les avis publicitaires, les formulaires, etc. Autant de supports qui accompagnent manifestement l’expansion de la « raison graphique ».

Promesses de l'offre et évolution des formats

L’univers de l’imprimé au 17e siècle devient en effet de plus en plus accessible ; le livre est de plus en plus « visible », même pour les non-lisants encore nombreux.
Cette propagation est particulièrement sensible en milieu urbain, mais elle gagne déjà les campagnes grâce à un nombre croissant de diffuseurs, les colporteurs principalement, à la fin du 17e siècle.

Les formats

L’évolution générale des formats témoigne de cette espèce de « gain de proximité ». Le livre au 17e siècle est plus maniable, plus banal, et il paraît de surcroît l’assumer, au point que les petits formats elzéviriens font l’objet d’un véritable engouement parmi les amateurs. Ces petits formats, avant tout l’in-octavo et l’in-douze, vont progresser très nettement, en particulier dans les genres les plus valorisés du 17e siècle.

Profane et sacré

Le Cid, tragi-comédie.
Le Cid, tragi-comédie. |

© Bibliothèque nationale de France

L’essor de la production littéraire et la « naissance de l’écrivain » apparaissent comme les deux grandes révélations éditoriales du siècle.
Encore faut-il distinguer les deux formes de littérature qui s’imposent alors. La littérature profane (et son genre phare, le théâtre) s’affirme avec les grands auteurs qui vont devenir nos classiques : Pierre Corneille, sans oublier son frère Thomas, mais aussi Molière, Jean Racine… Leurs œuvres, plébiscitées sur scène et en librairie, inaugurent l’ère des grands succès littéraires et justifient l’émergence d’une librairie spécialisée dans les nouveautés littéraires et établie à Paris, au Palais de la Cité. Mais on ne saurait oublier la littérature religieuse et spirituelle. Le 17e siècle français vit en effet sur l’élan de la Contre-Réforme ou Réforme catholique, acclimatée au contexte de l’Église gallicane, une Église soucieuse de son autonomie nationale vis-à-vis de Rome. Les livres de dévotion, en langue française, s’adressent de plus en plus aux laïcs, même aux plus modestes, en cet âge dit de l’« humanisme dévot » ou « humanisme chrétien ». Cette forme d’humanisme est promue par saint François de Sales avec son Introduction à la vie dévote (1re éd., Lyon, 1608), l’un des « best-sellers »  spirituels du siècle.

Catéchisme nouveau : 3e commandement
Catéchisme nouveau : 3e commandement |

© Bibliothèque nationale de France

De grands classiques de la spiritualité comme l’Imitation de Jésus-Christ, dont le texte remonte à la fin du Moyen Âge, connaissent un succès inimaginable sous différentes versions, de la plus modeste à la plus recherchée, illustrée ou non – Pierre Corneille n’hésitant pas à mettre sa renommée au service d’une nouvelle version en vers français.
La production de catéchismes, de livres de prières, de livrets de dévotion et d’exemples moraux atteint un niveau encore inédit. Le modèle du catéchisme, en particulier, s’ancre profondément dans les milieux les plus modestes. En témoigne par exemple le catéchisme du diocèse de Rouen, dont les illustrations montrent, au sein de la famille d’un menuisier catholique normand, la lecture pieuse d’un livre de grand format (Nouveau Testament ou Vies des saints), clairement figurée comme le prolongement de la messe dominicale, tandis que les outils du métier restent sagement au râtelier. Dans le même temps, le succès du réseau des collèges de la Compagnie de Jésus entraîne un accroissement spectaculaire du nombre de livres de classe (grammaires, dictionnaires, manuels…) et de classiques latins en circulation.

Élargissement du public

Au total, jamais le livre n’a encore connu une diffusion aussi élargie qu’au 17e siècle auprès des différentes générations et parmi les publics des deux sexes.
Chez les femmes de la bourgeoisie, notamment, le livre relève désormais de l’univers quotidien, qu’il s’agisse de lectures de loisir ou de lectures sérieuses, centrées autour du Livre unique. Abraham Bosse représentera l'une et l'autre de ces « catégories », à travers la parabole des « Vierges folles », adonnées à la lecture de romans, et des « Vierges sages », méditant la Bible. Dans les deux cas, le livre est au centre des occupations mais aussi des préoccupations.

Les vierges sages et les vierges folles
Les vierges sages et les vierges folles |

Bibliothèque nationale de France

Les vierges folles
Les vierges folles |

Bibliothèque nationale de France

Dans cette forme de « démocratisation » du livre, les exigences religieuses ont joué un grand rôle, en rendant le livre familier aux plus humbles des fidèles.
De telles exigences ont en effet puissamment contribué aux progrès de la scolarisation et de l’alphabétisation, non seulement en milieu urbain mais aussi dans les campagnes – particulièrement dans le contexte de la Révocation de l’édit de Nantes (1685), avec un effort notable en direction des régions marquées jusque-là par la présence protestante.

L’un des résultats les plus sensibles de cette « démocratisation », c’est que les taux d’alphabétisation atteints dans les régions de la moitié nord de la France, dans la seconde moitié du 17e siècle, sont déjà remarquables, particulièrement en Champagne, en Normandie et dans le Bassin parisien.

Ainsi, plus des deux tiers des habitants masculins de Reims et de Rouen sont alphabétisés aux alentours de 1670. Les petites écoles dans ces régions se sont multipliées et prennent en charge les enfants des couches populaires, si possible des deux sexes.
Pour les catégories plus favorisées, d’autres formules existent, ainsi qu’en témoigne la gravure d’Abraham Bosse représentant Le Maistre d’escole laïc et sa classe constituée d’enfants de tous âges issus de la bourgeoisie parisienne.

Le Maître d’école
Le Maître d’école |

Bibliothèque nationale de France

Colporteur de livres
Colporteur de livres |

Bibliothèque nationale de France

L’émergence de la Bibliothèque bleue

Pour tous les nouveaux alphabétisés, pour tous les nouveaux lecteurs, il faut à présent de nouveaux livres, moins intimidants, moins chers, moins longs à lire. D’où le développement de ce que l’on appellera un peu plus tard la Bibliothèque bleue, qui vise à répondre à ces nouveaux besoins. Ce n’est pas un hasard si cette Bibliothèque bleue voit le jour en Champagne (à Troyes plus exactement) avant de gagner la Normandie (à Rouen tout d’abord). Ces deux provinces sont en pointe dans le mouvement de scolarisation et d’alphabétisation. En outre, elles sont accoutumées à exporter une partie de leur production imprimée en direction de Paris et de l’Île-de-France.

La Bibliothèque bleue, c’est d’abord un répertoire de textes tombés dans le domaine public (c’est-à-dire dont les premiers privilèges d’impression sont expirés) et par conséquent d’accès libre pour les imprimeurs-libraires. On y retrouve aussi bien des romans de chevalerie que des ouvrages pratiques, des facéties et des farces gothiques, mais également et surtout des livrets de dévotion et des vies de saints, même si ces derniers ouvrages ont été généralement moins bien conservés. Il s’agit en d’autres termes de lectures complémentaires de l’enseignement alors dispensé dans les écoles paroissiales. Avec elles se trouvent confirmé le lien existant entre le développement de l’édition de colportage et les exigences éducatives directement issues de la Réforme catholique.

Livres récréatifs, appellez communément la Bibliotheque bleuë
Livres récréatifs, appellez communément la Bibliotheque bleuë |

© Bibliothèque nationale de France

Les textes de la Bibliothèque bleue sont en général courts (ou du moins raccourcis), imprimés à l’économie, illustrés de même, avec des bois gravés anciens et sans cesse réutilisés (« bois de réemploi »). Leur papier est le plus souvent de petit format, très médiocre. Ces textes tirent leur nom de « Bibliothèque bleue » du papier d'emballage de couleur grise ou bleue avec lesquels ils sont brochés. Le corpus se caractérise ainsi par son unité formelle, même si les contenus en sont très divers. Ce corpus, de fait, n’est pas homogène. Son public ne l’est pas nécessairement non plus. Sont principalement visés ceux que l’on appellerait aujourd’hui les « primo-lecteurs », aussi bien en ville qu’en milieu rural. Il s’agit d’un lectorat populaire en ce sens qu’il n’appartient pas – ou en tout cas de moins en moins au fil du 17e siècle – aux élites lettrées qui ont assuré le succès du livre imprimé aux 15e et 16e siècles.

Provenance

Bibliothèque nationale de France

Lien permanent

ark:/12148/mmhdbr61khv0