Raz-de-marées et villes englouties

Bibliothèque nationale de France
Raz-de-marée en Sicile
La représentation cartographique de la zone touchée par le raz-de-marée est accompagnée de vues présentant des scènes du drame.
Bibliothèque nationale de France
Les raz-de-marée
Les pires cataclysmes sont peut-être les ondes de tempêtes (le Sturmflut, unissant forces du vent et forces de la mer), dont l’Occident garde des souvenirs angoissants et des traces durables. Depuis 709 (?), le Mont-Saint-Michel est « au péril de la mer » – la forêt de Scissy a disparu et les marais de Dol n’ont pu être reconquis qu’après l’établissement de la digue du 11e siècle.
Durant la période « dunkerquienne » d’avancée de la mer du Nord, de terribles ondes de tempêtes ont fini par crever les cordons littoraux et par faire entrer l’eau profondément à l’intérieur des terres, dans le lac Flevo, l’immense golfe du Zuiderzee (13e – début du 14e siècle) – reconquis en partie depuis sa fermeture par la digue établie en 1932. La Frise connut plusieurs raz-de-marée en 838 qui la submergèrent presque entièrement. Une grande inondation d’origine marine, le 28 septembre 1014, paraît avoir surtout affecté la Flandre et la Zélande, Walcheren en particulier. Les annales de Gand évoquent un énorme raz-de-marée, le 2 novembre 1042, dont on doit penser qu’il ravagea essentiellement la Flandre et la Zélande.
En 1134, un autre raz-de-marée, en Flandre, provoque l’élargissement du Zwin, en 1170, depuis la Hollande stricto sensu jusqu’aux environs d’Utrecht. La vulnérabilité des Pays-Bas tient d’abord à une sous-altitude. Une large superficie est située au-dessous du niveau de la mer et en est défendue par un cordon de dunes, renforcé de-ci de-là par la construction de digues très facilement éventrées à l’époque médiévale et à l’époque moderne. Si les causes immédiates des raz-de-marée ont été reconnues, leur répartition dans le temps, leur rythme, leur évolution éventuelle, continuent à susciter des questions.
Les légendes des villes englouties
Ce sont peut-être de lointains souvenirs des submersions marines historiques qui ont suscité des légendes : celle de la ville d’Ys rejoint celle du village flamand Wenduine, dont on entend, à marée basse, les orgues de l’église engloutie jouer le Dies iræ.
De toutes les légendes sur les villes englouties, inspirées sans doute de l’Atlantide et du thème du Déluge, celle d’Ys, disparue au 4e ou 5e siècle, est la plus répandue. Au 16e siècle, on situait la ville d’Ys vers la pointe du Raz. Une tradition plus répandue place la ville engloutie au large de la baie de Douarnenez (ou de la baie des Trépassés). Les pêcheurs de Douarnenez prétendaient entendre sonner les cloches de la cité engloutie. Parfois, on apercevait même la princesse Dahut, dont la légende prête à sa conduite dépravée l’engloutissement de la cité ; sa longue chevelure blonde tordue par les vents annonçait de terribles tempêtes. Selon des traditions de la Manche, la ville d’Ys subsiste au-dessous des flots ; ses habitants jouissent de la vie éternelle.
Une autre croyance veut que Paris doive disparaître un jour sous les flots car son nom signifie « pareille à Ys » : « Quand sera noyé Paris / Renaîtra la ville d’Is ». D’autres villes englouties existent, croit-on, entre Douarnenez et l’embouchure de la Loire : on parle à Quiberon de la ville d’Aise, qui se trouvait sur le plateau des Bervideaux, à l’ouest et à dix kilomètres de Port-Blanc, aujourd’hui couvert de trois mètres d’eau par les plus basses marées. En Méditerranée est évoquée la ville engloutie en face de Saint-Raphaël, « qui vit encore sous les eaux » : on y entendrait à certaines heures le son des cloches et, parfois, celui des canons. On entend également des cloches dans les eaux au large de La Ciotat…

La ville engloutie, dans Profondeurs marines
Cette représentation d’une ville totalement engloutie, où les méduses, les étoiles de mer et toutes sortes de poissons évoluent autour des symboles d’une grande cité - immeubles, statue équestre, collines environnantes - fait partie d’un ensemble de huit aquarelles réalisées par Chapelain-Midy (1904-1992) pour l’édition de 1965 de la Liste des grands vins que les établissements Nicolas ont éditée de 1927 à 1973. Cet ensemble, intitulé Profondeurs marines et réalisé par l’imprimerie Draeger frères de Montrouge avec une typographie et une mise en pages d’Alfred Latour, comprend : « Le corail », « La ville engloutie », « Le ballet des sirènes », « La pêche miraculeuse », « Le cimetière marin », « La pieuvre bleue », « Grands fonds », « La méduse ».
© Adagp, Paris, 2024
© Adagp, Paris, 2024
Vivre sous la mer, un rêve de terriens
La baleine de Jonas, comme d’autres mammifères, permet à l’homme de devenir un héros en effectuant un voyage sous la mer. La baleine engloutit le héros sans le dévorer et le régurgite transformé moralement. Les plongées peuvent être aussi des défis suprêmes et conférer l’immortalité à ceux qui les pratiquent, mais c’est une immortalité dans la mort. Tels ne sont pas les désirs de ceux qui veulent vivre sous la mer au 20e siècle !
Construire sur la mer et sous la mer est un projet élaboré par ceux qui explorent le fond des eaux et par ceux qui croient qu’ailleurs sont des mondes meilleurs. Vivre sous la mer, pour retrouver ses origines, fuir le monde des terriens, à l’instar du capitaine Nemo, est le désir de celui qui ne veut plus retourner parmi les siens.

Une utopie sous-marine
Publiciste et écrivain prolifique dans la veine de Robert-Louis Stevenson et de Jules Verne, sir Max Pemberton (1863-1950) situe l’action de ce roman maritime dans un ensemble d’îles nommé « archipel de Ken ». La maison éponyme est une vaste caverne sous-marine aménagée. Par des hublots donnant sur l’océan, ses habitants peuvent admirer la faune marine et ses monstres tout en écoutant de l’orgue dans la salle de musique, allusion évidente au Nautilus du capitaine Nemo.

Une bande dessinée sous-marine : Les Aventures extraordinaires de Peskett
Après Oh ! Ys !, Pierre Péron (1905-1988) prolonge la veine humoristique concernant la ville d’Ys en publiant Les Aventures extraordinaires de Peskett du 17 octobre 1937 au 16 octobre 1938 dans le quotidien La Dépêche de Brest. Publié en album le 15 décembre 1943, ce conte pour enfants relate trois aventures, dont l’une, le voyage de la ville d’Ys, sera condensée en 1944 par Pierre Péron dans un album en couleurs où Peskett, petit homme poisson, découvre la ville engloutie et obtient la main de la fille du roi Gradlon.
DR
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Les villes sous la mer telles que veulent en construire, depuis bien des années (1958), quelques architectes, au contraire des villes et palais des légendes, ne peuvent pas consister en la reproduction d’habitations terrestres. Les contraintes physico-chimiques obligent les créateurs à proposer des formes particulières. Nous ne parlons pas de la vie dans les sous-marins, réelle mais conçue et développée pour des raisons utilitaires ; les architectes dont il s’agit n’envisagent que de futures cités du bonheur, selon un mode de vie nouveau.
Les terriens, faute de vivre sous la mer, préfèrent apprendre ce que sont ces abysses et profiter des connaissances scientifiques tout en continuant à rêver. La science n’est pas opposée à l’imaginaire. Les abysses gardent leur mystère et leurs secrets, puisque, toujours fascinés par la mer et la vie sous-marine, dessinateurs, romanciers, peintres, poursuivent l’œuvre des peuples de la mer en créant de nouvelles cités sous-marines, de nouvelles sirènes et de nouveaux dieux des mers pour enchanter les spectateurs et les lecteurs les plus divers.
Les marins continuent, comme les sirènes, les morganes et les rois et génies des mers, à « marcher sur la mer », à écouter les multiples paroles de l’océan, à regarder et à lire ses mouvements constants et à lui répondre, désireux qu’ils sont de vivre avec lui.

Projet de décor pour la revue-opérette Oh ! Ys !
Sous forme d’un prologue et de cinq tableaux, cette revue-opérette, antithèse du Roi d’Ys d’Édouard Lalo, fut jouée en 1924 au théâtre municipal de Brest par un groupe de jeunes Amis des arts, un peu délirants, sous la conduite de Maurice Marchand (1893-1941), artiste-peintre-décorateur. Oh ! Ys ! débute dans le royaume sous-marin de Gradlon, roi d’Ys, neuf cent vingt-quatrième du nom. Les filles du roi sont des sirènes (« les six reines du roi Gradlon », bien sûr) qui ne se privent pas de houspiller leur père, ce dernier rêvant de s’offrir une petite virée sur terre pour leur échapper...

Aqualab
Architecte internationalement reconnu, l’architecte Jacques Rougerie est l’auteur d’une multitude de projets et de réalisations d’architecture sous-marine, destinés aussi bien à la recherche scientifique qu’à l’industrie ou aux loisirs. Il s’agit ici de la maquette d’un projet d’habitat-laboratoire sous-marin voué à la recherche océanographique, pour des séjours de longue durée, de six mois à un an. La coque est en aluminium, les baies en methacrylate. L’habitat devait faire 9 m de long et 45 m3 de volume, pour une capacité de 6 à 9 personnes et il devait être immergé à une profondeur de 12 m.
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