La transmission des récits homériques












Au 8e siècle avant notre ère, Homère réunit des chants épiques en un seul poème : l’épopée. De la tradition orale, le Poète conserve le style, rythmé par des épithètes et des formules, ainsi que la forme, codifiée dans un vers à six pieds, l’hexamètre. Une forme immuable qui permettra la transmission de l’épopée jusqu’à la fixation du texte au 6e siècle avant notre ère. Ces textes fondateurs seront largement repris et diffusés.
Les Homérides
Dans la tradition orale, la mémoire s'appuie sur le chant et le rythme des mots pour transmettre les poèmes de génération en génération. C'est en s'inscrivant dans cette tradition que les épopées homériques ont été préservées. Héritiers spirituels d'Homère, les Homérides revendiquent une filiation directe avec le Poète. Habitant l'île de Chios où Homère, selon la légende, aurait fait école, ces rhapsodes professionnels forment une sorte de corporation qui transmet les chants épiques durant les siècles précédant la fixation du texte. Ils survivent au moins jusqu'au 4e siècle avant notre ère.
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Fixation du texte à Athènes ?
Les témoignages antiques rapportent le rôle joué dans la fixation du texte par trois hommes d’Etat athéniens du 6e siècle. Solon, le législateur et poète, aurait ordonné la lecture continue des poèmes homériques à la fête des Panathénées, sous la forme d’un concours entre rhapsodes. Mais la tradition antique la plus répandue concerne le tyran Pisistrate et son fils Hipparque : selon un texte du 4e siècle avant J.-C., Hipparque "introduisit le premier dans ce pays les poèmes d’Homère et obligea les rhapsodes à les réciter aux Panathénées, les uns après les autres, sans interruption." C’est dans le cadre de cette récitation continue que Pisistrate, ou son fils Hipparque, aurait fait fixer un état du texte de l’Iliade et de l’Odyssée qui devint dans l’Antiquité l’édition considérée comme authentique.
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Un texte fixé par les Homérides ?
Les modalités de la fixation du texte restent des plus controversées. Avant l’édition athénienne, il est possible qu’une communauté de rhapsodes, en particulier celle des Homérides de Chios, ait déjà conservé un texte de référence. Ce texte aurait ensuite été transmis de l’Asie mineure à la Grèce centrale. Selon plusieurs auteurs antiques, Lycurgue, le législateur mythique de Sparte, auraient reçu les œuvres du Poète des descendants de Créophyle, disciple et ami d’Homère, voire son gendre, et les aurait apportées dans le Péloponnèse. On peut ainsi supposer que le texte homérique vint de Sparte ou que les Athéniens obtinrent des Homérides de Chios une copie de l’Iliade et de l’Odyssée comme l’avaient fait les Lacédémoniens.
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Édition savante d'Alexandrie
Aux 3e et 2e siècles avant notre ère, les érudits de la Bibliothèque d'Alexandrie établissent les premières « éditions savantes » d'Homère. Le texte, fixé sur un rouleau, est augmenté de signes critiques signalant les vers supposés « interpolés » et renvoyant sur un rouleau de commentaires distinguant l'usage homérique de l'usage attique ou hellénistique. La « Vulgate alexandrine », dont l'origine devait être l'édition d'Athènes, ne touche pas au texte d'Homère, quelles que soient les critiques et les condamnations formulées. Les Alexandrins sont à proprement parler « les gardiens du temple » homérique puisque la Bibliothèque abritait un sanctuaire d'Homère.
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La tradition latine
À Rome, les citoyens cultivés parlent le grec et connaissent bien les scènes et les héros homériques. Homère nourrit l'imaginaire des poètes latins classiques tels Virgile, Ovide ou Stace. C'est sous Néron que l'on compose l'Ilias latina, un résumé en vers latins destiné au milieu scolaire. Les bouleversements que connaît l'Empire romain à partir du 3e siècle de notre ère affectent l'éducation et ses structures : la connaissance de la langue grecque se raréfie et l'accès au texte original d'Homère se perd. Seules perdurent les œuvres apocryphes de Darès le Phrygien et Dictys de Crète, récits d'acteurs imaginaires de la guerre de Troie engagés l'un du côté troyen, l'autre du côté achéen.
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Les « tables iliaques »
Illustrés des scènes homériques et inscrits en grec, ces bas-reliefs miniatures témoignent de la place éminente de l'hellénisme dans le monde romain et de la fortune de la matière troyenne. Sans doute exécutées pour des aristocrates romains, ces tables auraient pu orner leurs bibliothèques. D'un usage didactique, cultuel ou seulement décoratif, elles portent également un sens politique car, à travers la figure d'Énée, elles célèbrent les origines mythiques des Iulia, la famille de César. Leur fabrication au 1er siècle est contemporaine de l'Ilias latina.
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Le Roman de Troie
L'Occident médiéval a perdu le lien avec le texte original d'Homère tout en vénérant son nom, ses héros et leurs aventures, connus par le résumé de l'Ilias latina et les récits de Darès et de Dictys. Cette matière troyenne, Benoît de Sainte-Maure la reprend à la fin du 12e siècle dans le Roman de Troie, une adaptation en ancien français selon la perspective chevaleresque et courtoise de l'époque, avec un anachronisme délibéré. Considérée comme un fait historique, la guerre de Troie s'inscrit dans l'Histoire universelle telle qu'on l'enseigne notamment dans l'Histoire ancienne jusqu'à César, où elle prend place entre les épisodes bibliques.
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La tradition byzantine
Alors que l'éducation classique sombrait en Occident avec l'Empire romain, Byzance veille à la transmission des auteurs anciens. De 425 à 1453, les écoles de Constantinople demeurent les piliers de la tradition classique. Elles perpétuent la connaissance d'Homère, ajoutant au texte original des gloses et des commentaires. C'est grâce à cette tradition orientale que l'Occident redécouvrira l'Iliade et l'Odyssée, quand les lettrés byzantins s'installeront en Italie avec leurs manuscrits grecs après la prise de Constantinople par les Ottomans.
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Première traduction latine de l'Iliade
La redécouverte d'Homère est un fait marquant de l'humanisme naissant. C'est à Pétrarque que l'on doit l'initiative de la première traduction latine de l'Iliade, réalisée dans les années 1360. Quand l'ambassadeur de Byzance lui offre un codex grec d'Homère contenant l'Iliade et l'Odyssée, Pétrarque cherche à faire traduire le manuscrit. Après plusieurs années et l'aide de Boccace, il réussit à convaincre un moine bilingue d'entreprendre la traduction : celle de l'Iliade devait durer sept ans, celle de l'Odyssée ne sera jamais achevée. Mais après cette impulsion initiale, diverses traductions d'Homère commencent à apparaître au début du 15e siècle.
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Première édition d'Homère
Bien que partielle, l'édition latine d'Homère en 1474 marque une étape considérable dans la redécouverte des œuvres originales. Il faut attendre 1488 pour que paraisse à Florence l'édition princeps de l'Iliade et de l'Odyssée. Deux Grecs installés en Italie assurent l'établissement du texte et sa composition. Une prouesse technique qui ne rencontre pas le succès escompté tant le prix de l'édition est élevé. En 1504, la deuxième édition d'Homère dans un petit format rencontre un succès durable. Ce format « de poche » sera imité par de nombreux éditeurs en Europe occidentale.
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Première édition critique
En 1566, à Genève, Henri Estienne publie une édition critique des textes homériques. Chef-d'œuvre typographique, cette édition célèbre est le fruit de tout un travail philologique : Estienne a consulté toutes les éditions antérieures, au nombre de dix-huit. Il s'est aussi reporté à un ancien manuscrit grec, ce qu'aucun éditeur n'avait fait depuis l'édition princeps de 1488. Henri Estienne innove également en numérotant les vers. Son édition fera autorité cent cinquante ans, jusqu'à l'édition d'un nouveau texte en 1711 par Joshua Barnes.
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Traduction française imprimée de l'Iliade
C'est à Jean Samxon que l'on doit la première traduction française de l'Iliade, dont l'intégrale parait en 1530. Il se fonde non pas sur le texte grec mais sur sa traduction latine et se permet de corriger les « erreurs » du Poète en coupant et modifiant le récit selon les apocryphes de Darès et de Dictys. Ce travail est si infidèle et si mauvais que le poète Hugues Salel entreprend une seconde traduction de l'Iliade pour le compte de François Ier dont les dix premiers chants paraissent en 1545. Considéré comme le premier traducteur français d'Homère, Salel doit sa gloire à cette traduction en vers plus qu'à sa propre œuvre poétique.
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