Contes fantastiques

Bibliothèque nationale de France
Contes fantastiques
Page de titre des Contes fantastiques d’Hoffmann, édition de 1830-1832.
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Le goût des Allemands pour le mystérieux leur a fait inventer […] le genre fantastique, où l’imagination s’abandonne à toute l’irrégularité de ses caprices et à toutes les combinaisons des scènes les plus bizarres et les plus burlesques.
L’œuvre d’Hoffmann commence à être traduite et adaptée en français l’année suivant la mort de l’auteur, en 1823, mais c’est la grande traduction de François-Adolphe Loève-Veimars qui, à partir de 1828, lance une mode du récit hoffmannien qui se poursuit jusqu’à l’opéra de Jacques Offenbach, Les Contes d’Hoffmann en 1881. Le traducteur choisit de rassembler les textes d’Hoffmann sous le titre de Contes fantastiques, ce qui constitue un contresens par rapport à l’original allemand « Fantasiestücke » (« morceaux issus de la fantaisie / de l’imagination »).
Troubler la perception du monde
Ce contresens dans le titre permet de mettre en relief la singularité de la poétique hoffmannienne, qui repose sur une nouvelle écriture du surnaturel. Il ne s’agit plus de récits horrifiques se déroulant dans l’atmosphère gothique d’un château hanté ou d’un pays lointain et sauvage, mettant en scène des créatures clairement issues d’un autre monde.
Chez Hoffmann, le malaise produit par le texte n’est pas lié aux objets eux-mêmes (fantômes, vampires et autres êtres démoniaques) mais au point de vue incertain qui est adopté dans le texte : le récit met en scène la force de l’imagination, qui vient perturber la compréhension du monde du personnage et du lecteur – nous révèle-t-elle des réalités ordinairement cachées ou nous égare-t-elle dans notre perception des choses ? Le surnaturel se transporte ainsi dans l’Allemagne contemporaine et pénètre les événements les plus triviaux : chaque objet du quotidien peut désormais faire peur, dès lors que l’imagination nous laisse entrevoir qu’il pourrait être plus qu’il ne paraît, sans pour autant que nous en soyons parfaitement sûrs.

« Salvator Rosa
« Ordinairement on dit beaucoup de mal des hommes célèbres ; que ce soit par des raisons valables ou non, qu’importe ? C’est ce qui arriva au grand peintre Salvator Rosa, dont les tableaux pleins de vie n’ont certainement jamais été contemplés par mon lecteur sans une jouissance intérieure et toute particulière.
Lorsque la réputation de Salvator se fut répandue à Naples, à Rome, dans la Toscane, et même par toute l’Italie, lorsque les peintres qui voulaient plaire devaient tâcher d’imiter le style étrange de son pinceau, à cette époque même de méchans envieux faisaient naître des bruits fâcheux qui devaient obscurcir la gloire divine de l’artiste. On prétendait qu’à une époque antérieure de sa vie Salvator avait fait partie d’une bande de brigands, et que c’était dans cette société maudite qu’il avait pris les originaux de toutes ces figures féroces, fières, si fantastiquement costumées, qu’il plaça plus tard dans ses tableaux. On disait que les déserts sombres et affreux, les selve selvagge, comme les nomme le Dante, où il s’était tenu caché, étaient fidèlement reproduits dans ses paysages. Mais ce qu’il y avait de pire, c’est qu’on soutenait qu’il avait été entraîné dans la terrible et sanguinaire conspiration, tramée à Naples par le fameux Mas’Aniello, et l’on en racontait les particularités avec les plus petits détails. » (Hoffmann, « Salvator Rosa », Contes fantastiques, traduction de François-Adolphe Loève-Veimars, Eugène Renduel, 1830)
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« Ignace Denner
« Alors, il lui sembla voir des pierres se détacher de la muraille, et tomber avec fracas sur le pavé de la prison. Une lueur d’un rouge de sang pénétra par l’ouverture, et, au milieu d’elle, parut une figure que, malgré sa ressemblance frappante avec Denner, Andrès ne pouvait prendre pour Denner lui-même. Ses yeux étincelaient avec plus d’ardeur, ses cheveux hérissés, plantés droits sur son front, étaient plus noirs, et ses sombres sourcils s’arquaient davantage sur le muscle aplati qui surmontait son nez, recourbé comme le bec du vautour. Son visage était ridé et contourné d’une manière horrible et bizarre, et il portait des vêtements étrangers et extraordinaires, comme Andrès n’en avait jamais vus à Denner. Un large manteau rouge de feu, garni de nombreuses tresses d’or, tombait de ses épaules en plis flottants ; un large chapeau espagnol au bord retroussé avec une plume rouge flexible était posé de travers sur son front ; une longue rapière pendait à son côté, et, sous le bras gauche, ce personnage portait une petite cassette. » (Hoffmann, « Ignace Denner », Contes fantastiques, traduit par Henry Egmont)
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L’influence d’Hoffmann sur ses contemporains
Les imitateurs français d’Hoffmann ont bien perçu ce nouvel élément : par exemple, la nouvelle « La Cafetière » (1831) de Théophile Gautier emprunte à la poétique hoffmannienne en faisant d’une simple cafetière posée sur une table le vecteur par lequel tout un monde de fantômes semble se déployer dans la chambre du narrateur – à moins qu’il ne s’agisse d’un songe ? Ce sentiment d’hésitation devant des phénomènes qui paraissent tantôt ordinaires, tantôt surnaturels, a été défini par le critique Tzvetan Todorov comme la caractéristique essentielle du genre fantastique, dont Hoffmann apparaît ainsi comme le précurseur.

« Le Majorat
« Tout à coup on s’avança doucement, lentement, et à pas comptés, à travers la salle ; on soupirait, on gémissait, et dans ces soupirs, dans ces gémissemens, se trouvait l’expression d’une douleur profonde. — Mais j’étais en garde contre moi-même. C’était sans doute quelque bête malade, laissée dans l’étage inférieur, et dont un effet d’acoustique me renvoyait la voix. — Je me rassurai ainsi, mais on se mit à gratter, et des soupirs plus distincts, plus profonds, exhalés comme dans les angoisses de la mort, se firent entendre du côté de la porte murée. — La pauvre bete était enfermée, j’allais frapper du pied, l’appeler, et sans doute elle allait garder le silence ou se faire entendre d’une façon plus distincte. — Je pensais ainsi, mais mon sang se figea dans mes veines, je restai pâle et tremblant sur mon siège, ne pouvant me lever, encore moins appeler à mon aide. Le sinistre grattement avait cessé, les pas s’étaient de nouveau fait entendre ; tout à coup la vie se réveilla en moi, je me levai et j’avançai deux pas. La lune jeta subitement une vive clarté, et me montra un homme pâle et grave, presque horrible à voir, et sa voix, qui semblait sortir du fond de la mer avec le bruit des vagues, fit entendre ces mots : — N’avance pas, n’avance pas, ou tu tombes dans l’enfer ! » (Hoffmann, « Le Majorat », Contes fantastiques, Traduction par François-Adolphe Loève-Veimars, Eugène Renduel, 1832)
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« Petit Zacharie, surnommé Cinabre »
« C’était avec raison que la pauvre femme pouvait se plaindre de l’abominable avorton qu’elle avait mis au monde deux ans et demi auparavant. Ce qu’on aurait pu très bien prendre au premier coup d’œil pour une méchante souche de bois noueux représentait ce petit être contrefait, haut de deux palmes tout au plus, lequel s’était glissé en rampant hors de la hotte, où il était couché en travers, et se vautrait en ce moment sur l’herbe avec un grognement sourd. La tête de ce phénomène charnu était profondément emboitée entre les épaules ; à la place du dos s’élevait une excroissance en forme de courge, et immédiatement au-dessous de la poitrine pendaient deçà delà deux petites jambes aussi minces que des baguettes de coudrier, ce qui donnait à peu près à cette petite créature l’aspect d’un radis fendu en deux. Quant aux traits du visage, une vue un peu faible ne pouvait pas en discerner grand chose ; mais en regardant avec une extrême attention, on finissait par découvrir un long nez pointu, formant saillie en dehors d’une masse de cheveux noirs et crépus, et de tout petits yeux noirs et flamboyants, qui, perdus au milieu d’un amas de rides et de rugosités informes, semblaient parfois ne pouvoir appartenir qu’à une mandragore. » (Hoffmann, « Petit Zacharie, surnommé Cinabre », Contes fantastiques, traduction de Henry Egmont, Perrotin, 1840)
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Extraits du « Violon de Crémone »
Le violon de Crémone
On sait combien les choses fantastiques me frappent et me touchent. Je jugeai indispensable de faire...Lire l'extrait
La mort d’Antonie
J’étais déjà placé depuis deux ans à Berlin, lorsque j’entrepris un voyage dans le midi de l’Allemagne....Lire l'extrait

Le conseiller Krespel
« Le Violon de Crémone », nouvelle connue aujourd’hui sous le titre « Le Conseiller Krespel », fait partie des récits qui ont le plus influencé les imitateurs français d’Hoffmann : on y retrouve le mélange typiquement hoffmannien entre idéal et quotidien, entre surnaturel et grotesque. Le conseiller Krespel est un musicien génial, mais excentrique, qui voue un amour démesuré à son violon et à sa fille, la belle chanteuse Antonie. Mais la sacralisation de la musique produit ici des effets funestes et même fantastiques, puisqu’il semble que la jeune fille meure de trop chanter…
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La mort d’Antonie
Le narrateur revient dans la petite ville où vit le conseiller Krespel, pour apprendre qu’Antonie est morte.
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Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).
Lien permanent
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