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L’exploration, mode d’emploi
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La Société de géographie
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A quoi ont servi les missions d’exploration ?
Dans l'ombre des explorateurs













Véhiculée par les journaux, les romans d’aventure et les bons points, l’image de l’explorateur au 19e siècle est celle d’un homme jeune, blanc, parti affronter seul les étrangetés d’un monde exotique et dangereux.
La réalité, cependant, est quelque peu différente. Dans l’ombre de l’explorateur gravitent de nombreux personnages : ceux qui l’ont précédé et lui ouvrent des chemins, et d'autre qui l’accompagnent le long des routes.
C’est donc une réalité beaucoup plus diverse et colorée que nous livrent les images, les archives et les textes, lorsqu’on prend la peine de lire entre les lignes.
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Une aventure collective
Contrairement au mythe, l'exploration est rarement une aventure solitaire. Même ceux qui « voyagent léger », à l'instar de René Caillé ou Heinrich Barth, partis essentiellement pour des questions scientifiques, s'ajoutent régulièrement à des caravanes, négocient avec des autorités locales et discutent avec des personnes susceptibles de leur fournir savoirs et informations. Sans le savoir, ils pratiquent ainsi déjà une forme d'enquête ethnographique.
Au fil du temps, avec l'accroissement de l'enjeu colonial, les expéditions prennent de l'importance en taille, et mobilisent de nombreux hommes : porteurs, guides, interprètes, soldats... Sur cette photographie, Henry Stanley et trois explorateurs portugais rencontrés à Loanda, Serpa Pinto, Roberto Ivens et Hermenegildo Brito Capello posent avec leurs porteurs africains, qui semblent assister, impuissants, aux rivalités des puissances coloniales européennes pour la domination des territoires entre Mozambique en Angola.
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Bibliothèque nationale de France / Société de géographie
Informateurs et explorateurs locaux
Le titre d’« explorateur » n’est généralement accordé qu’aux Européens. Pourtant, lorsqu’ils arrivent dans un territoire, celui-ci n’est quasiment jamais vierge : il est habité, administré par différents pouvoirs, parcouru par des marchands ou des pèlerins, et donc connu de bien des manières, parfois même cartographié.
El-Hajj Ahmed ibn Mohammad el-Fellati, un personnage d’importance de l’émirat de Kano, au Nigeria actuel, a ainsi été l’un des « informateurs » des autorités consulaires françaises. Ses pèlerinages à La Mecque lui permettaient notamment de bien connaître les routes transahariennes. Pourtant, bien qu’ayant voyagé et aidé à la production de documents et de cartes, il n’est pas lui-même considéré comme un « explorateur ».
Bibliothèque nationale de France / Société de géographie
Informateurs et explorateurs locaux
Les textes de voyageurs indigènes sont largement connus et utilisés par les Européens.
Par exemple, les récits des voyages au Darfour et au Wadday (deux royaumes du Soudan et du Tchad actuels) du Cheikh Mohammad ibn Omar ibn Soleiman al-Tounsi, sont traduits en français au milieu du 19e siècle et publiés au Caire. Dans la préface, l’auteur est décrit comme un « musulman instruit, bon observateur, homme d’esprit et lettré, chez qui les préjugés de caste n’ont pas étouffé le sens droit et l’amour de la vérité ».
La traduction est explicitement destinée aux explorateurs qui pourraient avoir envie de parcourir la région : « J’ai pensé, ajoute l’éditeur, Edme-François Jomard, toujours dans la préface, en lisant cette relation, qu’elle ajouterait beaucoup aux notions qu’on possède jusqu’à présent, et qu’elle serait d’un véritable secours pour ceux qui entreprendront un voyage dans cette contrée reculée, que l’on peut regarder comme la porte du Soudan. »
Bibliothèque nationale de France / Société de géographie
Informateurs et explorateurs indigènes
Parmi les explorateurs indigènes qui travaillent pour les Européens, une place particulière doit être faite aux pundits, auxiliaires indiens des Britanniques en Inde.
Confrontés au refus des autorités tibétaines de laisser passer leurs ressortissants, les Britanniques décidèrent de former des explorateurs asiatiques. Ces pundits, littéralement « érudits », étaient ensuite envoyés en mission clandestine au nord de l’Himalaya, vers l’Asie Centrale.
Originaire de la zone frontalière entre Inde et Tibet, Nain Singh était à l’origine un instituteur. Après sa formation par les services du Survey of India, le service topographique britannique, il se dirigea vers le Tibet jusqu’à atteindre la ville de Lhassa. Déguisé en lama, il utilisa ses objets religieux comme des outils de topographe : le chapelet lui servit à mesurer les distances, tandis que son moulin à prières bouddhiste lui servait de cache pour ses relevés.
« Il n’est pas un cartographe-automate », note l’historien et géographe britannique Henri Yule, qui le recommanda pour la médaille d’or du bienfaiteur de la Royal Geographical Society en 1877. « Ses observations ont permis, à elles seules, de compléter et d’affiner la carte de l’Asie infiniment plus que celles de n’importe quel autre de nos contemporains, et ses journaux forment des carnets de voyage excessivement intéressants. »
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Bibliothèque nationale de France / Société de géographie | Domaine public
Informateurs et explorateurs locaux
Parmi les explorateurs non-européens, le rabbin marocain Mardochée tient une place tout à fait particulière. Véritable érudit, il voyage tout d'abord pour lui-même, se formant tout autour de la Méditerranée, à Marrakech et à Jérusalem notamment, avant de s'installer à Tombouctou où il exerce une activité de commerçant. Entre 1870 et 1878, il est nommé correspondant par la Société de géographie de Paris, pour laquelle il rédige des documents et collecte des minéraux et des plantes. Son voyage à Paris fait sensation, et il connaît dans la capitale française une véritable célébrité. Plus tard, c'est encore lui qui sert de guide et d'interprète à Charles de Foucauld, auquel il conseille de se déguiser en juif pour voyager plus aisément.
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Informateurs et explorateurs locaux
L’exploration de l’Ouest américain fut initiée pendant les deux mandats de Thomas Jefferson de 1801 à 1809. La plus célèbre de ces expéditions est celle des capitaines Meriwether Lewis et William Clark. Le succès de cette expédition tient beaucoup à l’indienne Sacagawea qui fut l’interprète et la guide de la mission.
Cette carte manuscrite est contemporaine de l’expédition à la remontée du fleuve Missouri de 1804 à 1806. Elle est attribuée à un chef indien Arikara et représente ce qu’il appelle « son pays », la région des grandes plaines, avec la localisation détaillée de trente tribus indiennes et des lieux principaux de la nation Arikara. Il y situe aussi l’arrivée des explorateurs Lewis et Clark. Un tel document est un précieux témoignage des savoirs locaux autochtones et permet de relativiser la notion de « découverte ».
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Épouses et aventurières
À partir des années 1850 se développe dans l’imaginaire populaire l’image de l’aventurière. Les récits de voyage au féminin se développent : on en compte plus de trois cents pour la seule décennie 1870-1880 !
La plupart du temps, les femmes ne voyagent pas seules : elles accompagnent leurs époux, à l’image de Jane Dieulafoy qui part avec son mari Marcel en Iran. Ce dernier est mandaté par le ministère de l’Instruction publique pour faire des fouilles archéologiques à partir de 1881. Le couple travaille notamment sur les sites de Suse et Persépolis.
L’« Orient », c’est-à-dire un espace courant de la Méditerranée à l’Inde, est alors la destination privilégiée des exploratrices. Portant pantalon et cheveux courts, Jane Dieulafoy fait sensation à la cour du roi Nasser al-Din Shah, mais aussi dans les salons parisiens, qui la connaissent grâce à ses nombreux et pétillants récits de voyages.
INHA, CC BY-NC-ND 3.0
Épouses et aventurières
Comme de nombreuses femmes voyageuses, Gabrielle Vassal est avant tout le double de son mari. C'est d'ailleurs pour le suivre, lui, le médecin spécialiste de parasitologie, que la jeune Anglaise, à peine mariée, se rend en Annam. Rapidement, elle s'approprie cette Asie tropicale, s'intéresse aux populations, à l'architecture locale et à l'environnement naturel, parcourant des centaines de kilomètres dans des régions où les Européens ne se sont pas encore avancés.
En bonne épouse d'explorateur, Gabrielle Vassal est celle qui rédige le récit du voyage du couple, On and Off Duty in Annam, paru en 1910 à Londres et adapté et publié en français dès l'année suivante dans Le Tour du monde. Son activité n'est pourtant pas seulement celle d'une voyageuse : elle mène aussi une réelle activité scientifique, pratiquant elle-même la photographie et collectant des spécimens d'histoire naturelle – insectes, plantes, oiseaux et mammifères – pour le British Museum, institution-phare de sa patrie d'origine.
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Épouses et aventurières
Au 19e siècle, il est difficile pour une femme de prétendre partir seule en exploration. Le cas d’Octavie Coudreau est à ce titre exemplaire.
En 1899, pour la première fois, le couple Coudreau part au Brésil. Henri est alors un explorateur chevronné, qui parcourt la région depuis un peu moins de vingt ans. Son voyage se déroule en plein conflit frontalier entre la France et le Brésil ; rapidement touché par la fièvre, il finit par succomber au paludisme en novembre la même année. Demeurée seule, Octavie poursuit seule l’œuvre de son mari pendant sept ans, de 1901 à 1906. Elle explore notamment le Rio Cumeria et se livre à la cartographie.
Récompensée en 1903 par la société de géographie, Octavie Coudreau se sent néanmoins obligée de se justifier : « Si je fais de l'exploration, c'est pour me permettre de ramener les restes de mon mari auprès de ses vieux parents, c'est pour qu'Henri Coudreau ne demeure pas éternellement sous une terre étrangère bien qu'amie, c'est aussi pour terminer l'œuvre commencée depuis cinq ans, œuvre utile entre toutes puisqu'elle consiste surtout à faire connaître des contrées encore ignorées par les masses », écrit-elle au début de son Voyage au Cuminá.
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Guides, interprètes et compagnons
Indispensables pour comprendre les lieux et les populations, les guides et interprètes sont les intermédiaires de tout explorateur européen.
Parcourant la Sibérie entre 1879 et 1886 pour le compte du gouvernement russe, Joseph Martin mène une mission de prospection minière en 1882-1883 entre les fleuves Lena et Amour. À cette occasion, il s’adjoint les services de guides et de porteurs du peuple Toungouse. Il les décrit comme des nomades qui, « avec leurs équipages de chevaux et de rennes, […] remplacent les chemins de fer, qui n’existent pas encore, et les rouliers, qui n’ont jamais eu de raison d’être dans un pays sans routes. »
En 1884, la Société de géographie de Paris reçoit de sa part cette photographie comme souvenir de son expédition. Il pose à côté de son principal guide, Boris Constantin Greznoukine ou Grieznoukine. Celui-ci arbore, sur sa tunique, une « médaille de 1re classe » décernée par le ministre de l’Intérieur pour « acte de dévouement », à la demande de l’explorateur. Alors que dans ses écrits, celui-ci ne fait mention de ses compagnons de voyage que pour des remarques ethnologiques, cette décoration montre l’importance des relations qui se tissent entre guides et Européens.
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Guides, interprètes et compagnons
Il est rare que les noms des guides, interprètes ou compagnons indigènes des explorateurs aient été retenus par l’histoire. Ils sont en effet rarement mentionnés dans les archives, et encore moins dans les récits de voyage.
Apatou est à cet égard une intéressante exception. Ancien esclave, il fait la connaissance de Jules Crevaux alors que celui-ci remonte le Maroni, en 1876-1877. À partir de cette date, les deux hommes ne se quittent plus, Apatou faisant même le voyage jusqu’en France, où il reçoit une récompense des mains de Ferdinand de Lesseps. Alors qu’il désigne la plupart des hommes de son expédition sous le simple terme de « noir » ou « nègre », Jules Crevaux mentionne régulièrement le nom d’Apatou dans ses récits de voyage, expliquant son rôle en tant qu’éclaireur, fabricant de pirogue, mais aussi protecteur.
L’attitude de Jules Crevaux ne peut s’affranchir d’une certaine condescendance raciste propre à son époque : « bien que Nègre, [Apatou] sait poser des questions intelligentes », écrit-il ainsi. Cela n’empêche pas l’expression d’un respect né d’un lien fort entre les deux hommes.
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Guides, interprètes et compagnons
Cette image provient d’une série publiée par l’armée américaine à propos de l’exploration menée par George M. Wheeler dans les États de l’ouest des États-Unis : Arizona, Utah, Californie et Nevada. Au revers, la légende précise le nom et les rôles de l’homme représenté : « Maiman, un Indien mohave, guide et interprète pendant une partie de la saison dans la région du Colorado. Il aida par la suite à pister la bande d’Indiens dont certains des membres avaient été impliqués dans le massacre de Wickenburg, où le jeune Loring fut tué. »
Le massacre mentionné est l’assassinat de six personnes dans l’attaque d’une diligence par des Indiens yavapais, en 1871. L’incident souligne la fine frontière qui existe, dans le cadre des États-Unis, entre guide-interprète et éclaireur militaire.
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Guides, interprètes et compagnons
En l’an 2000, Matthew Henson, Afro-Américain né en 1866, descendant d’esclaves, est reconnu comme le premier homme à avoir atteint le pôle Nord en 1909 et reçoit, à titre posthume, une médaille de la National Geographic Society. Accompagnateur de Robert Peary, il avait précédé ce dernier au pôle et planté lui-même la bannière étoilée.
L’invisibilisation de ce voyageur, noir de peau, a duré près d'un siècle. Elle témoigne à la fois des clichés qui s'attachent à la figure des explorateurs, héros solitaires et nécessairement blancs, ainsi que du rôle subalterne concédé aux compagnons de voyage, quel que soit leur rôle réel.
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