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Les décideurs de la guerre
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La guerre dans les illustrations du Petit Journal
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Journaux de tranchées
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Les artistes dans la guerre
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Jean Veber, soldat dessinateur
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Affiches des enfants de France
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Mémoires intimes
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Article
Louis Barthas, un homme pris dans la tourmente
Les artistes dans la guerre

















Écrivains, artistes, musiciens offrent d'un miroir de ces temps d'effroi. Qu'ont-ils vu et écouté de la guerre, qu'en ont-ils fait voir et écouter ? se demande à Annette Becker. Dans un premier temps, les artistes se concentrent surtout sur les atrocités commises par les ennemis. Leurs images n'échappent pas à la propagande ambiante mais « Une génération, entre 1914 et 1918, a fait l'une des expériences les plus monstrueuses de l'histoire universelle », dira Walter Benjamin. Cette expérience va nourrir leur œuvre, chacun rêvant qu'un monde nouveau naisse de cette expérience terrible. Jacques Copeau relève dès novembre 1914 ce paradoxe : « Voilà l'admirable : une nation pacifique et pacifiste victorieuse d'un formidable militarisme, faisant la guerre formidable, détruisant la guerre par la guerre ! »
L’orgie
© Bibliothèque nationale de France
La tranchée
La difficulté à représenter la violence extrême
Félix Vallotton chercha sans succès à s’engager volontairement en raison de son âge. Cependant, comme d’autres de ses compagnons Nabis, il a été envoyé sur le front par l’armée comme peintre officiel pour constituer une iconographie de la guerre. Vallotton, comme Bonnard et Vuillard, renoncera sans pouvoir exécuter la grande œuvre patriotique attendue : « Peindre aujourd’hui, ce n’est plus peindre des tableaux de bataille », dira-t-il, en se demandant si les théories du cubisme naissant ne seraient pas encore les meilleures à appliquer à cette guerre. Cette estampe encore proche du style Nabi (style marqué par l’illumination de l’artiste qui ne saurait se contenter de restituer le réel mais cherche à en extraire des « signes » ) illustre une explosion unique sans donner à sentir l’éclatement infernal de la guerre tel qu’il est décrit par Henri Barbusse dans son récit Le feu. Journal d’une escouade : « Les bois fauchés comme du blé, tous les abris repérés et crevés même avec trois épaisseurs de rondins, tous les croisements de route arrosés, les chemins fichus en l’air et changés en des espèces de longues bosses de convois cassés, de pièces amochées, de cadavres tortillés l’un dans l’autre comme entassés à la pelle. »
© Bibliothèque nationale de France
Les fils de fer
© Bibliothèque nationale de France
Le guetteur
© Bibliothèque nationale de France
Dans les ténèbres
© Bibliothèque nationale de France
Les civils
© Bibliothèque nationale de France
Paysage avec maisons
Engagé volontaire en 1914, Otto Dix rejoint le front en Champagne et dans la Somme comme artilleur. Son œuvre subit alors de multiples influences et oscille entre les tendances expressionniste, réaliste ou cubo-futuriste. Le Paysage avec maisons trahit cette hésitation dans une composition qui tient d’un Franz Marc ou d’un Ludwig Meidner, et dans laquelle sont plantés des volumes cézanniens.
© Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola. © ADAGP, Paris, 2024
Streichholzhändler (Marchand d’allumettes)
Revenu à Dresde après la guerre, Otto Dix développe un style qui caractérisera rétrospectivement l’essentiel de sa production. Influencé par les collages dadaïstes et initié aux techniques de la gravure par Conrad Felixmüller en 1921, il déploie une critique sociale acerbe qui veut renvoyer au nationalisme de la République de Weimar l’image cinglante de sa réalité précaire.
Mots-clés
© Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola. © Adagp, Paris
La Faim
Mots-clés
© Bibliothèque nationale de France
Sans titre, du portfolio Memento
Ayant rejoint la Sécession berlinoise après des études à Breslau et Dresde, Willy Jaeckel compte parmi les contributeurs réguliers de la revue de Paul Cassirer Kriegszeit fondée dès le début du conflit. On lui doit une série intitulée Memento, inspirée des Désatres de la guerre de Goya et perçue comme un manifeste pacifiste. Également auteur d’une toile monumentale intitulée Angriff, en 1915 (aujourd’hui perdue), Jaeckel est l’un des premiers artistes allemands à représenter le conflit sous l’angle de sa réalité brutale.
© Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola
Das kranke Kind
Mots-clés
© Bibliothèque nationale de France
Die Grenze (La frontière)
Illustrateur d’origine bavaroise, Joseph Sattler a été formé à l’Académie des beaux-arts de Munich, avant de rejoindre Strasbourg en 1891, où il a enseigné un court temps le dessin à l’École des arts décoratifs. De son expérience de la guerre, on connaît des dessins de la région de Sainte-Maries-aux-Mines. Le dessin Die Grenze, réalisé à la même période, évoque le conflit sous un angle allégorique en sollicitant le thème des danses macabres.
© Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola
Postdamer Platz
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© Bibliothèque nationale de France
Sodome et Gomorrhe
Illustrateur pour divers hebdomadaires satiriques, dont Jugend à Munich et les Lustige Blätter à Berlin, Richard Seewald prend part à la Nouvelle Sécession munichoise dès 1913. Lorsqu’éclate le premier conflit mondial, Seewald se réfugie en Suisse, auprès des milieux pacifistes. À la veille de la guerre, les thèmes apocalyptiques traversent la pensée et la littérature allemande. Dans cette gravure, Seewald représente le thème biblique de Sodome et Gomorrhe frappées par les colonnes de feux, faisant également écho au récit du Zarathoustra de Nietzsche.
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Photo © Musées de Strasbourg, M. Bertola
Kriegswitwer auf der strasse
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© Bibliothèque nationale de France
Guillaume II déchu
© Bibliothèque nationale de France
La Fin de la Grande Guerre
Créée en novembre 1914, la revue Le Mot est dirigée par Paul Iribe, avec comme collaborateur privilégié Jean Cocteau. Patriotique et artistique, y participent aussi Sem ou Raoul Dufy. Vingt numéros ont paru.
Dans les dernières semaines de l’année 1914, Raoul Dufy dessine ; il proclame « La Fin de la Grande Guerre » en deux gravures, dont la première est publiée dans la revue d’avant-garde Le Mot, qui vient d’être créée par Jean Cocteau et Paul Iribe. Au nom de quel pressentiment oser prétendre déclarer la fin de la guerre entre fin 1914 et début 1915 ? Nous le savons aujourd’hui : cette fin supposée n’était que prémices d’une guerre que les combattants espéraient de courte durée, dont ils souhaitaient qu’elle mette fin à l’idée même de la guerre et qu’elle établisse la victoire définitive de la paix.
Dufy a compris que la guerre était grande avant d’être longue. C’est ce qu’il représente dans « La Fin de la Grande Guerre », où il épouse les canons de l’avant-garde et de l’art populaire, dans la tradition de l’imagerie patriotique née à l’époque napoléonienne : « Voilà de l’excellente tradition d’Épinal tricolore », dira Cocteau. Autour d’un coq gaulois, l’artiste met en scène les violences commises, dès les premiers jours de la guerre, contre les civils qui se trouvaient sur les voies d’invasion. Comme tant d’autres, il mêle vraies atrocités, exagérations et rumeurs colportées par les réfugiés venus de Belgique et de France du Nord et de l’Est. Le jaune monochrome (économies de l’éditeur, la polychromie coûte désormais trop cher) et le texte poétique d’avant-garde sans doute dû à Jean Cocteau donnent un aspect crypté aux petites images qui entourent symétriquement, deux par deux, la figure centrale du coq triomphant de l’aigle. « Fin » et retournement : le coq écrase l’aigle dans ses ergots ; le gallus (homonymie avec Galia, la Gaule) a les serres les plus meurtrières qui soient.
Auréolé de sa popularité des premiers temps de la guerre, le général Joffre domine la gravure. L’homme du miracle de la Marne en septembre a aussi prononcé le discours de Thann en décembre : « Notre retour est définitif, vous êtes Français pour toujours. […] Je suis la France. Vous êtes l’Alsace, je vous apporte le baiser de la France. » Dufy oppose le patriotisme historique du sacrifice français, un patriotisme à la croix de guerre, accrochée au sommet de la gravure sur l’arc-en-ciel, aussi arc de triomphe ; croix accompagnée du pape lui-même. Mais Pie X est mort le 20 août 1914, bouleversé par la déclaration de guerre : « Le Saint-Père mourut de peine ». Son successeur, Benoît XV, évoquera le « suicide de l’Europe ».
Dufy, en ce temps de la configuration des deux camps dans les imaginaires des belligérants, oppose l’esprit du sacrifice français à la barbarie qui s’en prend aux innocents enfants de Dieu – assassinés –, aux femmes – violées –, et enfin à la cathédrale de Reims, bombardée et brûlée. Devant ce symbole de la nation-France par excellence, l’héroïne Jeanne d’Arc, originaire de Lorraine, dont la France fut partiellement amputée en 1871, est enveloppée des fumées de son propre bûcher et des flammes qui montent de la cathédrale, sacrée par le sacre, profanée par les ennemis. « La grande fille / de Lorraine / exalte les cœurs / de l’Angleterre, / miraculeusement ! Car les valets / des Hohenzollern / avaient vitriolé / le visage / de la Cathédrale / du Sacre ». D’un côté, le camp du bien et du droit : blancheur, pureté, le tricolore belge, britannique ou français. De l’autre, les barbares, le mal : incendies, pillages, assassinats, tout est noir. En contraste avec le pacifique et élégant ruban montant des maisons quittées par les soldats français pour défendre leur patrie, des fumées sombres s’échappent des bâtiments détruits par les Allemands. Les ruines de maisons deviennent des êtres humains et les églises démembrées présentent au regard l’incarnation vivante et visible du martyr.
Mots-clés
© ADAGP, Paris, 2014, avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du comité Jean Cocteau
Notice : Annette Becker
© Bibliothèque nationale de France