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L'Apocalypse au Moyen Âge

L'ouverture du quatrième sceau
L'ouverture du quatrième sceau

Bibliothèque nationale de France

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La « révélation » attribuée à Jean constitue le livre ultime de la Bible chrétienne. Dans une langue riche en images, elle livre le récit de la fin des temps. Ce récit fut interprété au cours du Moyen Âge, soit dans un sens symbolique et spirituel, soit au contraire comme une prédiction d’évènements révolutionnaires réels et imminents.

Le dernier livre de la Bible

Une prophétie de fin du monde

L’Apocalypse est le vingt-deuxième et dernier livre de la Bible. Composée entre 60 et 96 de l’ère chrétienne, elle relate la « révélation » (c’est le sens originel du mot apocalypse) dont aurait bénéficié un certain Jean, parfois identifié à l'évangéliste saint Jean, réfugié sur l’île grecque de Patmos durant les persécutions des premiers chrétiens.

Panneaux de l’Apocalypse
Panneaux de l’Apocalypse |

© BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image Staatsgalerie Stuttgart

Ce récit composite résulte de la combinaison de plusieurs textes et se divise en vingt-deux chapitres. Il constitue une prophétie de la fin du monde : à l’issue de calamités variées et de la défaite de celui que les Épîtres de Jean nomment l’Antéchrist, ou Antichrist, le plus farouche adversaire du Christ et de son Église, les morts ressusciteront et Jésus reviendra sur terre pour juger les hommes, assignant à chacun sa place pour l’éternité, soit au paradis, soit en enfer.

Jugement Dernier
Jugement Dernier |

Bibliothèque nationale de France

Jugement Dernier
Jugement Dernier |

Bibliothèque nationale de France

Des images marquantes

L’Apocalypse est le récit d’une vision. C’est pourquoi elle est riche en images verbales qui ont  fortement marqué les esprits à travers les siècles  et ont suscité une très riche iconographie, en particulier dans les manuscrits enluminés et dans la tapisserie à la fin du Moyen Âge. Telles sont les figures de l’Antéchrist et de tous les êtres monstrueux qui participeront aux tribulations ultimes de l’humanité : les deux Bêtes surgies de la terre et de la mer, la Grande Prostituée de Babylone, les fléaux divers comme les vols de sauterelles et les pluies de sang, les armées de « Gog et Magog », etc.

Tout au long du Moyen Âge, les clercs et aussi de nombreux laïcs ont cherché à identifier ces figures repoussantes. Ils les ont assimilés aux « infidèles », particulièrement à l’occasion de la croisade et de la conquête de Jérusalem, qui éveilla en 1099 une grande ferveur millénariste ; aux hérétiques ennemis de l’Eglise ;  aux empereurs ennemis du pape – Henri IV, Frédéric Barberousse, Frédéric II ; ou encore aux partisans des deux papes rivaux de Rome et d’Avignon au moment du Grand Schisme d’Occident (1378-1415).

Des énigmes à interpréter

Table de l’Antéchrist
Table de l’Antéchrist |

Bibliothèque nationale de France

L’Apocalypse fourmille également de chiffres et de nombres que les hommes du Moyen Âge ont fréquemment convertis en dates et en durées temporelles réelles : là où il était annoncé que l’Antéchrist viendrait au bout de « deux cent soixante jours », on dénombra des années et on prédit sa venue pour l’an 1260 de l’Incarnation. De même, là où il est dit que « mille ans » de paix (le millenium) succèderaient à la défaite de l’Antéchrist, certains entendirent la promesse véritable d’une période réelle et toute proche de mille ans.

Le texte prophétique de l’Apocalypse est donc plein d’énigmes se prêtant aisément à des interprétations contradictoires et partisanes. 

Eschatologie et millénarisme

Entre politique et symbolique

Dès les premiers siècles du christianisme, les auteurs chrétiens grecs et latins s’efforcèrent de donner un commentaire complet de la Bible et en particulier de l’Apocalypse. Jusqu’au début du 4e siècle, tant que les chrétiens étaient persécutés dans l’Empire romain, ils avaient pu identifier l’Antichrist au pouvoir malfaisant de Rome et souhaiter sa défaite annoncée. Mais par la suite, l’Eglise institutionnelle qui occupa une place de plus en plus dominante dans la société : la prophétie, si on la prenait au pied de la lettre, risquait de se retourner contre elle. Il était donc urgent de voir dans l’Apocalypse, non pas l’annonce réelle d’évènements révolutionnaires devant se produire dans très peu de temps, mais un discours symbolique appelant plutôt au combat spirituel de chaque chrétien contre le péché et l’invitant à faire pénitence, tout en restant dans l’ignorance de « l’heure » exacte de sa propre mort comme de la date de la fin du monde et du Jugement dernier. Cette interprétation spirituelle visait à circonscrire le combat contre le Mal dans la conscience individuelle et à priver la prophétie eschatologique (du « dernier jour ») de toute réalité concrète, prévisible, imminente et subversive pour les pouvoirs en place, à commencer par l’Église, la papauté, les évêques.

Tout au long du Moyen Âge fleurirent d’intenses courants millénaristes, qui voyaient dans le millenium et les autres événements prophétisés par l’Apocalypse des faits devant advenir réellement dans un futur proche et qui bouleverseraient la société établie, mettraient fin à la domination des riches et des puissants, anéantiraient le pouvoir des princes et ruineraient l’autorité de la papauté.

Cette interprétation révolutionnaire a été obstinément repoussée par les commentateurs ou « exégètes » de la Bible et plus particulièrement du livre de l’Apocalypse, au premier rang desquels saint Augustin (mort en 430), suivi sans exception par les écrivains monastiques comme Beatus de Liebana (798) ou Adson de Montier-en-Der (mort en 992) et plus tard par les évêques, les juges ecclésiastiques et les théologiens de l’Université à partir du 13e siècle.

Auteurs ayant inspiré Beatus de Liebana
 
Auteurs ayant inspiré Beatus de Liebana
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Bibliothèque nationale de France

Pourtant, elle ne cessa de resurgir chaque fois que la société médiévale était en proie à des difficultés diverses : des tensions politiques, notamment entre l’empereur et le pape ; des « signes » annonciateurs de catastrophes tels que la chute de comètes ; la famine ; la peste ou encore des menaces extérieures comme l’invasion mongole, la poussée des Arabes musulmans et plus tard celle des Turcs.

Les fanatiques de l’Apocalypse

Allégorie de l’hérésie
Allégorie de l’hérésie |

Bibliothèque nationale de France

La plupart des courants hérétiques qui se multiplient à partir des 11e-12e siècles s’inspirent aussi de l’Apocalypse pour prédire un bouleversement de l’Église et la fin du règne des clercs. Plusieurs constituent des cercles sectaires radicaux et fondamentalistes, qui prennent la prophétie de Jean au pied de la lettre. Ils connaissent rapidement, selon leurs détracteurs, des dérives — en particulier sur le plan de la morale sexuelle, en prônant l’union libre des membres de la secte —, ce qui justifie d’autant mieux leur éradication : ce fut le sort de Tanchelm et des siens dans le diocèse d’Utrecht, ou d’Éon de l’Étoile, dans celui de Reims, au 12e siècle.

D’autres mouvements ont connu une diffusion plus large et ont plus longuement résisté, tels les Spirituels et les Fraticelles, dissidents de l’ordre franciscain et inspirés par les écrits de Joachim de Flore, du milieu du 13e au début du 14e siècle. À la fin du Moyen Âge, les Lollards anglais et les Hussites tchèques se réclament eux aussi de l’Apocalypse pour proposer une réforme radicale de l’Église et de la société chrétienne, mais ils sont à leur tour éliminés.

Au début du 16e siècle, quand la Réforme protestante l’emporte dans une partie de l’Europe, les mouvements révolutionnaires de Thomas Müntzer en Thuringe puis de Jean de Leyde à Münster s’en prennent aussi bien aux nouvelles autorités religieuses qu’aux anciennes et sont écrasés dans le sang, respectivement en 1525 et 1536.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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