Savoirs antiques et spiritualité chrétienne

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Béatrice explique à Dante la hiérarchie de l’Univers
Dans ce manuscrit italien du 14e siècle, Dante décrit de façon poétique son voyage à travers les sphères célestes, depuis la Terre située au centre du monde jusqu’à l’Empirée. Dans cette illustration, Béatrice explique à Dante la hiérarchie de l’Univers. Toutes les créatures obéissent aux lois divines. Les créatures terrestres dépourvues de raison sont plongées dans la “mer de l’existence”, tandis que le ciel est étagé en neuf sphères gouvernées par la figure de l’amour.
La Comédie de Dante (1265-1321) est un voyage symbolique, une description du paradis et de son architecture, un voyage dans le cosmos médiéval. Le poète fait le récit de son pèlerinage dans l’autre monde, en Enfer et au Purgatoire sous la conduite de Virgile et au Paradis sous la conduite de Béatrice. L’univers est la matière du poème, le parcours poétique y trace une coupe verticale allant de la plus basse extrémité à la plus haute, à travers des sphères concentriques étagées.
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Les mappemondes médiévales héritent en Occident des représentations antiques partiellement conservées, et reflètent la manière dont la chrétienté conçoit l’évolution historique et la localisation de l’humanité.
L’héritage antique

Mappemonde en TO
La division tripartite du monde prend ici la forme schématique du T dans l’O où l’Asie, à l’orient (en haut), occupe la moitié de la terre habitée.
Siècle d’ordre et de savoir, le 13e siècle vit la naissance d’encyclopédies latines destinées à la prédication. Pour l’édification des fidèles, elles expliquaient selon la symbolique chrétienne la « nature des choses » de ce monde. Dans le même temps, des princes souhaitèrent disposer, pour l’instruction de leurs sujets, de traités leur enseignant dans la langue qu’ils parlaient quotidiennement la « fabrique » du monde. Ce furent les premières encyclopédies en langue vulgaire : divertissement et édification.
L’Image du Monde de Gossuin de Metz fut la première d’entre elles. Rédigée en 1246, en vers et en dialecte lorrain, à la demande de Robert d’Artois, le frère de saint Louis, elle devait, en prose et en français, connaître un très large succès. En quarante-six figures et trois parties, elle évoquait selon la doctrine chrétienne successivement Dieu, l’intelligence humaine, la nature, les éléments du cosmos, les éléments physiques et enfin l’astronomie. Elle fut l’un des éléments de base de la culture aristocratique des 14e et 15e siècles.
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Le schéma géométrique, dit « en T » ou en « TO » se trouve dans des manuscrits dès le 8e siècle : l’Orbis Terrarum ou cercle des terres habitées, rassemble les trois continents inscrits dans le O de l’anneau océanique, séparés par le T formé avec la Méditerranée pour montant et l’axe Nil-Tanaïs (Don) comme barre.

Mappemondes de Macrobe
Reproduisant aussi bien les textes religieux que les classiques de l’Antiquité, les copistes carolingiens fournissent à leurs contemporains les lectures nécessaires à l’enracinement du christianisme, mais aussi les bases de l’enseignement et le matériel indispensable aux intellectuels pour leur propre réflexion.
Cet exposé des théories platoniciennes sur les phénomènes célestes et terrestres a été introduit pour la première fois en France par Loup de Ferrières (795-863), grand lettré souvent considéré comme le précurseur des humanistes de la Renaissance. Cet exemplaire lui a appartenu, comme en témoignent les ajouts et corrections de sa main. Sous l’un des passages réécrits par Loup de Ferrières, une mappemonde représente l’Orient et l’Occident enserrés par les deux bras circulaires de l’Océan.
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Cette carte, « œcuménique » parce qu’elle représente l’œkoumène, n’implique pas forcément que la Terre soit pensée comme un disque plat plutôt que comme une sphère. Certaines mappemondes représentent seulement la division en zones thermiques, suggérant ainsi l’idée de globe terrestre. Le monde est fini, clos par le cercle océanique infranchissable. Ce dernier peut figurer la sphère de l’eau, précédant celles de l’air et du feu et les ciels concentriques de la tradition gréco-latine.
L’orientation chrétienne

Jérusalem
« Jérusalem : cette ville est la plus célèbre du monde, car c’est là que s’est accompli le salut du genre humain par la mort et la résurrection du Christ. »
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Anges faisant tourner le moteur du monde
Aristote considérait que le monde est mu par le “primum mobile”, moteur responsable des mouvements des sphères célestes. À partir du 12e s. l’occident médiéval adopte une cosmologie voisine de celle d’Aristote, mais adaptée aux écritures. Les anges, représentants de la volonté divine, actionnent le moteur du monde, à l’aide de leviers et manivelles. Ils jouent donc le rôle de “primum mobile” dans ce cosmos christianisé. Maïmonide, déclarant que ces anges ne sont rien d’autre que “les lois du Monde”, anticipe la vision de la physique moderne.
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Dévoilement de la puissance divine, la mappemonde en T.O. est à la fois un schéma géographique et un objet de méditation spirituelle devant le O, perfection de la création, et le T, symbole du bois de la crucifixion. C’est aussi un récit de l’histoire du salut, inscrit dans la linéarité de l’espace et du temps, depuis l’orient, lieu de la naissance édénique de l’humanité, jusqu’à l’occident de la mort et de la fin des temps, en passant par l’événement central de l’incarnation et de la rédemption.
Il aurait pu certes, l’auteur tout puissant du salut, pour accomplir son œuvre, choisir les territoires les plus reculés des Gaules, les fournaises du midi, les confins glacés du nord ou quelque autre lieu du vaste espace terrestre ; mais parce que le bénéfice du salut devait revenir à tous également, qu’il avait décidé de sauver non pas une partie du monde mais le monde entier, il préféra accomplir la rédemption non pas dans un coin de la terre, mais au milieu ; non pas dans une partie du monde, mais au milieu du monde, dans un lieu à égale distance des autres.
La Terre de toutes les couleurs : représentations médiévale

Mise en mouvement des sphères célestes
Ce poème en langue occitane, entrepris en 1288 par un clerc de Béziers appartenant au mouvement spirituel franciscain, exalte l’amour divin. Une partie de son succès tient à l’importance de l’iconographie établie sans doute sur les directives de l’auteur. Le monde est figuré sous les traits de la “machine de l’univers” mue par des anges, dont la Terre est le moyeu.
Le Bréviaire d’amour, vaste composition provençale de 34 000 vers de Matfre Ermengaud, commence par un « Traité de Dieu et de la Création » suivi d’un « Traité de la nature » d’où est issue cette illustration. Ses traités suivants, dans lesquels expose la doctrine du troubadour sur l’amour, furent jugés « dangereux », « anormaux » et « pervers » par l’Église.
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À la pluralité des sens répond la variété des couleurs utilisées afin de décrire la Terre, dans son entier ou dans ses parties, sans qu’il existe nécessairement une corrélation entre couleur et langage, entre les termes répétés de la description et les couleurs qui les expriment. Une difficulté accrue par l’origine des images et des textes qui les explicitent : réflexions théoriques sur la nature de la Terre, traités de philosophie naturelle, commentaires de la Genèse ; tous tendent à charger la couleur d’un sens second pour la déployer aux dimensions du symbole, dépassant largement la simple représentation.

« La terre comme li point dou compas » : expérience de la Terre percée
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C’est qu’en effet, au-delà du savoir contingent, l’approche de l’Image du monde dans sa forme et dans sa couleur est l’instrument qui, par le dessillement des yeux du corps, permet d’atteindre par les yeux du cœur à une connaissance plus haute, celle du Créateur à travers le fonctionnement de sa création.
Lien permanent
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