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La fin du monde dans l'islam

Les craintes eschatologiques jouent un rôle majeur dans la naissance et le développement de la religion musulmane. L’annonce de la fin du monde, la résurrection des corps et le Jugement dernier occupent une place centrale dans le Coran.

Fin du monde et résurrection dans le Coran

Les signes de la dernière heure

La révélation coranique, parole de Dieu descendue sur Muhammad, ne s’est pas faite en une fois : elle aurait pris place sur plus d’une dizaine d’années de la vie du prophète de l’islam. Mais dès les sourates les plus anciennes, généralement plus courtes, la prédication monothéiste est indissociable de la croyance à une vie future.

Début de la sourate 81 du Coran
Début de la sourate 81 du Coran |

Bibliothèque nationale de France

Israfil soufflant dans sa trompette
Israfil soufflant dans sa trompette |

Bibliothèque nationale de France

Dans cette première phase le Coran s’adressait majoritairement à des polythéistes qui ne croyaient pas à la fin du monde et à la vie après la mort. Pour cette raison le livre annonce avec insistance la venue de celle qu’il désigne comme « l’Heure (dernière) », dont l’arrivée n’est pas exprimée au futur mais bien au présent, de façon à ne pas laisser de repli à son destinataire.

Lorsque le ciel se fissurera,
lorsque les étoiles se disperseront,
lorsque les mers déborderont,
lorsque les sépulcres seront retournés,
toute âme saura ce qu’elle a accompli et ce qu’elle a ajourné.

 

Coran, sourate 82, versets 1-5

L’arrivée de l’Heure finale s’accompagne d’un ensemble de signes cosmiques que le texte coranique décrit avec un style dramatique, comme par exemple dans la sourate 81 : « Lorsque le soleil sera replié, lorsque les étoiles seront ternies, /lorsque les montagnes seront mises en marche, / lorsque les chamelles près de mettre bas seront délaissées, / lorsque les bêtes sauvages seront rassemblées, /lorsque les mers seront en ébullition […] / toute âme saura ce qu’elle a préparé. »

Ces signes cosmiques auront pour effet de réveiller dans l’âme des hommes la conscience que leur vie terrestre n’est rien d’autre qu’une préparation pour la véritable vie future dans l’au-delà.

Ces appels s’accompagnent également d’accusations visant les injustices de la société dans laquelle Muḥammad vivait :

Malheur aux fraudeurs !
Ceux qui, lorsqu’ils se font servir par d’autres, exigent une pleine mesure,
et lorsqu’ils mesurent ou pèsent pour d’autres, leur causent une perte.
Ces gens ne pensent-ils pas qu’ils seront ressuscités
en un Jour terrible,
le Jour où les hommes se tiendront debout devant le Seigneur des mondes ?

Coran, sourate 83, versets 1-6

Les corps et les âmes après la résurrection

Les Livres du Jugement
Les Livres du Jugement |

Domaine public

La résurrection dans le Coran est clairement celle des corps. Le livre sacré parle une soixantaine de fois du « Jour de la résurrection » (yawm al-qiyâma). Dans ce scénario apocalyptique, les parties éparses du corps humain seront réunies et seront des témoins de ce que l’homme a fait d’elles. Ce que l’homme pouvait en quelque sorte cacher ou ne pas voir dans cette vie terrestre, deviendra ainsi manifeste le Jour de la résurrection.

Ce Jour-là, Nous apposerons un sceau sur leurs lèvres tandis que leurs mains Nous parleront et leurs pieds témoigneront de ce qu’ils auront accompli.

Coran, sourate 36, verset 65

La fin du monde est suivie  du Jugement dernier, que le Coran présente comme le moment de la pesée des actes des hommes. Ils recevront le registre de leur actes et devront lire le récit de leurs actions. Ils seront ensuite divisé en « Compagnons de la gauche » et « Compagnons de la Droite » et seront conduits vers leur demeure éternelle respective : l’Enfer ou le Paradis. Le Coran décrit avec nombreux détails les délices ou les châtiments de l’au-delà.

Le lecteur peut avoir l’impression qu’il prêche un dualisme : l’Enfer ou le Paradis, la damnation ou le salut, la foi ou l’impiété. Les théologiens du Moyen Âge ont cependant fait remarquer qu’en réalité, la miséricorde divine (et non sa colère ou sa rigueur) prévaudra dans l’au-delà. Cette attention portée à la bonté de Dieu vise à préserver l’espoir en Dieu et à relativiser le rôle des fautes mineures que les personnes peuvent commettre dans leur vie terrestre.

Muhammad au Paradis
Muhammad au Paradis |

Bibliothèque nationale de France

Le châtiment des calomniateurs
Le châtiment des calomniateurs |

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L’intercession du prophète Muhammad

Le rôle de Muhammad

Dans ce processus d’ouverture et d’espoir, un rôle particulier est accordé au prophète de l’islam.

Si le Jugement est un acte qui revient à Dieu seul selon le texte coranique il sera néanmoins possible « d’intercéder » en faveur des proches, si Dieu en accorde la possibilité. 

Qui pourrait intercéder auprès de Lui, sinon avec Sa permission ?

Coran, sourate 2, verset 255

Dans ce contexte, la tradition islamique sunnite reconnait une place très importante à l’intercession de Muhammad pour sa communauté. Il est vu comme le premier des intercesseurs, car Dieu ne lui refusera pas ce qu’il demande étant donné son rang élevé.

Dans la pensée sunnite, une tradition (hadith) affirme qu’après la résurrection, tous les hommes, effrayés par le jugement divin à venir, demanderont l’intercession du prophète qui fut celui de leur communauté, d’Adam à Jésus, qui les présentera finalement à Muhammad. Celui-ci intercédera alors en leur faveur et louera Dieu avec des paroles qu’Il lui révélera à ce moment précis et qui « ne m’ont pas encore été présentées ».

Des interprétations différentes

Il existe une vaste littérature dévotionnelle en islam, constituée de formules et prières visant à obtenir l’intercession du Prophète. Par exemple, la personne qui, ayant entendu l’appel à la prière, récite l’invocation particulière enseignée par le prophète, obtiendra son intercession.

Ja’far al-Sadiq interrogeant un homme
Ja’far al-Sadiq interrogeant un homme |

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Mais l’idée même de l’intercession de Muhammad a été discutée par les érudits musulmans selon leurs diverses appartenances théologiques. Des positions divergentes sont apparues sur des questions controversées liées à la conception sunnite de l’intercession. Par exemple, la foi absolue dans la justice divine a amené certains courants de pensée, notamment les mu‘tazilites et les kharidjites, à nier l’intercession de Muhammad pour les musulmans ayant commis des péchés majeurs : Dieu leur a « promis » un châtiment et ne reviendra pas sur sa promesse. Ils rejettent une parole du prophète habituellement acceptée par les sunnites et transmise, entre autres, par Ahmad Ibn Hanbal (m. 855) : « Mon intercession est pour ceux de ma communauté qui ont commis des péchés capitaux ».

Les chiites ont étendu le pouvoir d’intercession aux imams, les descendants de ‘Ali et de Fatima, qui tiennent une place majeure dans cette branche de l'islam. C’est ainsi qu’ils comprennent la formule « Qui pourrait intercéder auprès de Lui, sinon avec Sa permission ? » (verset 2, 255). Selon l’exégète chiite du 10e siècle ‘Ayyashi, l’imam Ja‘far al-Sadiq aurait déclaré « nous (les imams) sommes les intercesseurs ».

Les interprétations spirituelles de la fin du monde en islam

Le pouvoir de la prière

Poème de louange au Prophète
Poème de louange au Prophète |

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Dans la littérature mystique musulmane, le pouvoir d’intercession du Prophète a été chanté dans des poèmes spirituels et des prières spéciales, comme l’« Ode du manteau » (al-Burda) d’al-Busiri ou les Dalail al-khayrat (Les indications des bienfaits) d’ al-Juzuli, un ouvrage écrit au Maroc au 15e siècle. De nombreuses prières contiennent la demande que Dieu accorde à son prophète la position d’honneur qui lui permettra d’intercéder pour sa communauté.

Une vision mystique

Dans les premiers siècles de l’Islam, des ascètes se sont aussi appuyés sur les mises en garde du discours coranique vis-à-vis des illusions de ce bas-monde pour développer des pratiques religieuses de mortification du corps et de l’âme.

Après eux, des mystiques ont procédé à une lecture symbolique de la fin du monde décrite dans le Coran. Sans en nier le sens littéral, ils ont proposé une intériorisation du message : cette fin n’est pas juste celle du monde tel que nous le connaissons, elle représente la fin du « Moi » individuel lorsque Dieu Se manifeste au cœur de l’Homme, par dévoilement, déjà dans cette vie. La « rencontre » et le « Jugement » adviennent donc dans la vie terrestre, et la personne à laquelle Dieu se manifeste « renaît » après une résurrection symbolique. Ainsi Junayd, maître spirituel qui a vécu à Bagdad au 10e siècle disait que la voie mystique est le fait que « Dieu te fasse mourir à toi-même et renaitre en Lui ».

Un derviche mort devant un roi
Un derviche mort devant un roi |

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Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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