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La fin du monde selon les Mésoaméricains

Culte astronomique chez les Aztèques
Culte astronomique chez les Aztèques

Bibliothèque nationale de France

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Selon certains adeptes du New Age, 2012 devait être l’année d’événements apocalyptiques : éruption solaire dévastatrice, aspiration de la Terre dans un trou noir, collision avec un corps céleste… À l’origine de ces craintes, le calendrier d’une civilisation depuis longtemps disparue : les Mayas. Mais les peuples de l’Amérique précolombienne avaient-ils vraiment prévu la fin du monde ?

Dernier livre canonique du Nouveau Testament, l’Apocalypse de Jean clôt le texte biblique qui avait débuté par le Genèse, soit le début de la Création. Le récit de la Bible conçoit donc le temps comme un phénomène qui s’écoule de façon irréversible entre une création ex nihilo et la fin du monde. Cette vision linéaire du temps a mené à des tentatives de calculer les dates du retour du Christ et de la fin du monde.

Nombreux sont ceux qui ont ainsi avancé des dates précises. Dès 1987, l’artiste américain José Argüelles prédit la fin du monde pour le 21 décembre 2012, dans son ouvrage Le facteur maya. Remettant sur le devant de la scène les calendriers mésoaméricains, il fit croire que les Mayas avaient prévu la fin du monde. En 1999, le couturier Paco Rabanne lui emboîtait le pas pour annoncer l’Apocalypse pour le 11 août de cette même année. En 2006, l’acteur et réalisateur Mel Gibson, mit en scène, avec des acteurs indigènes et en maya yucatèque, le déclin de la civilisation Maya dans son film au titre explicite, Apocalypto. Il associait ainsi les civilisations mésoaméricaines avec les notions de cataclysme et de « fin du monde ».

 

The Mayan Factor. Path Beyond Technology
The Mayan Factor. Path Beyond Technology |

© Bear & Company

Apocalypto
Apocalypto |

© Metropolitan Films

Une temporalité cyclique

Cependant, la temporalité linéaire qui induit ces prédictions est tout à fait étrangère aux cultures amérindiennes, régies par une interprétation cyclique du temps que l’on retrouve aussi dans les cosmologies de l'hindouisme et du bouddhisme, ou encore dans le temps (aiôn) des grecs anciens.

Les bases du calendrier des Mayas (2600 av. J.-C. à 1520 ap. J.-C.) se retrouvent chez tous les peuples du Mexique qui leurs ont succédé, des Olmèques (1200 et 600 avant J.-C.) aux Mexica (improprement qualifiés d’« Aztèques », vers 1200 à 1521 ap. J.-C.). Les représentations actuelles du calendrier font d’ailleurs usage de cercles et de roues dentées pour en expliquer le fonctionnement.

La « roue calendaire » maya
La « roue calendaire » maya |

Dessin : Marthe Aubineau ; conseil scientifique : Olivier Jacquot

Chez les Mayas, le « compte long » commence à la création du monde actuel dans la mythologie, soit, selon la corrélation des chercheurs Goodman, Martínez et Thompson au 11 août 3114 av. J.-C. Mis à part cette spécificité, deux principaux calendriers distincts étaient en usage dans les civilisations mésoaméricaines et se combinaient entre eux pour  régir le jour (kin chez les Mayas) ou les dates :

Constellations mayas
Constellations mayas |

Bibliothèque nationale de France

  • un calendrier divinatoire de 260 jours composé de 20 treizaines (périodes de treize jours) : le tzolk’in chez les Mayas et le tonalpohualli — « compte des jours » — chez les Mexica
  • un calendrier solaire de 365 jours composé de 18 mois de 20 jours, soit 360 jours auxquels s’ajoutait une période néfaste de 5 jours (le nemontemi en nahuatl) : le haab chez les Mayas et le xiuhpohualli chez les Mexica

Cérémonie du feu nouveau dans la municipalité d'Iztapalapa
Cérémonie du feu nouveau dans la municipalité d'Iztapalapa |

Photo : Carlos Quiroz, Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0

L’équivalent du siècle chez les Mexica — le xiuhtlapohualli, ou « compte des années », se composait de 13 séries de 4 années, soit 52 ans qui totalisait 18 980 jours (52 ans × 365 jours = 73 tzolk’in × 260 jours). Tous les 52 ans, en effet, les deux calendriers revenaient à leur point de départ. Chez les Mexicas, la coïncidence exacte du premier jour des deux calendriers, donnait lieu à la cérémonie du « Feu nouveau », ont l’apogée consistait à sacrifier un individu au sommet du mont Huixachtecatl pour rallumer le nouveau feu dans sa cavité thoracique vide avant d’allumer un bûcher visible de toute la ville de Tenochtitlan située au bas. Les flammes étaient ensuite transférées au temple de Huitzilopochtli, au sommet de la pyramide du Templo Mayor, puis à tous les feux de la ville.

La destruction dans la création

Que ce soit chez les Mayas ou chez les Mexica, l’imminence de la fin des temps revêtait une importance moindre que le mythe de la création du monde, produit de la lutte des dieux. Chez les Mexica, par exemple, Tezcatlipoca, le dieu qui régnait sur le premier monde du Soleil, fut renversé par son frère Quetzalcóatl, mais ils coopérèrent ensuite pour créer le cinquième soleil.

Les peuples indigènes de Mésoamérique étaient donc moins soucieux d’une fin des temps que de la mémoire de leur passé historique ou mythique. Leur angoisse eschatologique se fondait sur leur mythe de création appelé à se renouveler.

Mois et jours du calendrier mexica
Mois et jours du calendrier mexica |

Bibliothèque nationale de France

Calendrier religieux et divinatoire mexica
Calendrier religieux et divinatoire mexica |

Bibliothèque nationale de France

Les Mayas et les Mexicas partageaient en effet des mythes similaires associant des cycles successifs de création et de destruction du monde. Leurs mythologies font état de plusieurs Genèses et Apocalypses où le monde est créé et détruit à maintes reprises. Les mythes mayas issus des textes sacrés du Popol Vuh et des livres du Chilam Balam, font ainsi état de trois premières tentatives avortées de création de l’espèce humaine avant celle ayant constitué les ancêtres primordiaux des Mayas. Les Mexica, selon le mythe des « cinq soleils », font intervenir quatre ères successives. Les enfants de ce Cinquième âge du déséquilibre et du désordre, dont le signe est Nahui-Ollin (quatre-mouvement/tremblement), périront par les tremblements de la terre – les séismes sont très présents sur la plaque tectonique de Cocos, proche de l’Amérique centrale.

Auto-sacrifice mexica
Auto-sacrifice mexica |

Bibliothèque nationale de France

Pour conjurer la hantise quotidienne de la disparition du soleil, l’apocalypse se vivant à chaque coucher du soleil, les Mexica se livraient à de multiples rites dont des sacrifices faisant intervenir le sang, la nourriture du dieu du soleil. Le développement des sacrifices humains, chez les Mayas et les Mexica, s’inscrit dans la continuité de la pratique de l’auto-sacrifice, où ils faisaient don de leur propre sang, prélevé par percement des lobes d’oreilles, de la langue, des jambes ou du pénis, pour restituer son énergie originelle au soleil. Par l’oblation du sang, il s’agissait de renouveler le sacrifice primordial de Nanahuatzin ayant donné sa vie pour redonner son mouvement au Soleil mort.

La vision du monde des Mésoaméricains rejoint la mythologie biblique puisque, si des fins du monde s’y produisent, c’est pour permettre la naissance et la renaissance constantes. D’une certaine manière l’Apocalypse est quotidienne et se joue tous les soirs, mais la fin des temps n’est pas inéluctable : la destruction du monde peut être conjurée par une cérémonie du feu nouveau réussie, au cours de laquelle le calendrier est à chaque fois remis à zéro pour assurer la renaissance cosmique et la régénération du vivant et du temps.

Provenance

Cet article a été rédigé en septembre 2024, 13.0.11.16.13 du compte long, dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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